Rencontres Sociales

Logiciel Libre : mise en perspective pour l’ESS

Partie 2 : La place occupée par le logiciel libre

3 mars 2010 - Frédéric Sultan

Logiciel libre et industrie

L’un des freins à l’adoption dans l’entreprise du système libre (basé sur Linux) vient du fait que des logiciels propriétaires sont déjà installés sur les ordinateurs vendus dans le commerce. De ce fait, les petites entreprises éloignées des métiers de la communications sont les moins utilisatrices des systèmes libre basés sur Linux. La diversification de l’offre des OS (operating system) avec Ubuntu, et l’apparition de mini-ordinateurs équipés d’OS libre permettra certainement une évolution plus rapide pour 2010 et les années à venir.

Malgré cela, l’INSEE voit un léger développement des systèmes d’exploitation libres dans les entreprises en 2008 : « L’utilisation d’un système d’exploitation libre (open source) peut être le signe d’une plus grande maîtrise des systèmes d’information. Ces systèmes restent très minoritaires mais sont en légère progression (14 % des entreprises d’au moins 10 salariés qui ont un ordinateur en janvier 2008 contre 12 % en 2007). On retrouve ici les clivages habituels : ce sont les entreprises de 10 à 19 salariés qui utilisent le moins ces outils (10 %) particulièrement celles de la construction et du transport ; celles de 20 à 249 salariés (16 %) adoptent peu à peu les systèmes d’exploitation libres (près d’un quart des entreprises de 20 à 249 salariés des services aux entreprises en janvier 2008) ; tandis que la moitié des entreprises d’au moins 2 000 salariés disposent d’un système open source. » (E-administration, télétravail, logiciels libres : quelques usages de l’internet dans les entreprises Mahmoud Jlassi, Xavier Niel, division Services, Insee mars 2009 )

En Europe

Selon les enquêtes récentes (Enquête Actuate Open Source Survey 2009 ), l’usage des logiciels Open Source, motivés par le coût et la possibilité d’accès au code source concerne 40% des entreprises européennes. Des disparités existent entre les pays et au sein des tissus économiques nationaux. Dans les secteurs de la secteurs finance, de l’industrie et le secteur public, la France est l’un des pays les plus utilisateur : 67 % des entreprises sont concernées alors que l’Allemagne en compte 60%, le Royaume Uni 42%.

Les disparités d’usage révèlent une appropriation très hétérogène. Selon les travaux du groupe de recherche PLUME, les PME d’Allemagne seraient plus utilisatrices que les grandes entreprises du Royaume Uni.

Un secteur en développement

Les entreprises du secteur veulent anticiper sur cette évolution. L’étude OPIIEC (mars 2009) « Impact du logiciel libre en France » avec le sous-titre « investir dans la formation pour optimiser les apports du logiciel libre » propose d’investir dans la formation de la base jusqu’aux experts pour conserver à la France son avance dans ce secteur. Les enjeux se situent dans la capacité à associer libre et propriétaire dans un même projet, la valorisation de l’expérience et la formation à l’écosystème du libre (droit, économie du libre, collaboration, gestion de projets...)

Toujours selon l’étude de l’OPIIEC - observatoire prospectif du FAFIEC, (Syntec) conduite par Pierre Audoin Consultants, « Au sein de l’OCDE, la France est le pays le plus "intensif" en logiciel libre, qui représente 3,6% (1105 millions d’euros) de la demande en logiciels et services. Ce marché va croître fortement (32,7% de croissance annuelle moyenne) sur les 4 prochaines années (2009-2012), pour atteindre près de 10% de la dépense en logiciels et services » soit 3 milliards d’Euros.

Un secteur de pointe

Les initiatives relevant des politiques de recherche dans le domaine du libre se sont multipliées. Elles débouchent sur des accords et des coopérations d’entreprises à l’échelle internationale. OW2 illustre ce mouvement. Communauté open source de 5000 personnes lancée par INRIA, Bull et France-Télécom puis fusionnée avec Orientware (Chine), elle regroupe Alcatel Lucent, Red Hat, Thales, le Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités Locales. Selon Geneviève Romier (CNRS/UREC) et Jean-Luc Archimbaud (CNRS/UREC) [1] « Récemment, à l’occasion d’un accord franco-brélisien, SERPRO, entreprise brésilienne, et Bull, qui coopéraient déjà dans le cadre de OW2, ont annoncé qu’ils travailleront ensemble autour des technologies de portail, des environnements de développement applicatif et sur le marché des logiciels libres pour l’éducation en ligne. » OW2 n’est pas une exception, le projet 2020RoadMap coordonné par Cap Digital et System@tic est un chantier participatif de prospective sur l’évolution du logiciel libre et open source d’ici à 2020. http://www.2020flossroadmap.org largement appuyé par la région Ile de France.

Les administrations françaises et internationales l’ont adopté

L’Éducation Nationale utilise des serveurs libres et des stations de travail équipées de Linux dans les universités depuis le début des années 2000. Selon le ministère « plus de 60 % des licences logicielles utilisées sur les serveurs de l’éducation nationale sont issues du monde libre et environ 15 000 serveurs Linux équipent collèges et lycées. ». C’est le premier à avoir adopté du libre, sans doute du fait de la présence dans cette administration de nombreux libristes convaincus et d’une culture du partage de la connaissance. Les autres administrations françaises ont suivi le pas :

La suite bureautique OpenOffice.org équipent le ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire en 2003, soit environ 15 000 postes. Le ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie s’équipe systèmes en libre pour la gestion des impôts en 2004. Suivi par le ministère des Transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer, 1 500 serveurs Microsoft NT seront à remplacés par des serveurs Linux. Dans le même temps, le ministère de la Défense français contribue à un projet de distribution Linux de haute sécurité avec Mandriva notamment. En 2005, le ministère de l’Agriculture et de la pêche remplace ses serveurs Windows NT par des serveurs fonctionnant sous Linux. La Gendarmerie Nationale après l’installation sur tous ses ordinateurs de la suite bureautique OpenOffice.org (2005), adopte le navigateur web Firefox et le gestionnaire des courriels Thunderbird en janvier 2006. En 2007, 400 000 postes de l’administration centrale française migrent vers OpenOffice.org.

Même si il n’y a plus actuellement d’incitation à passer au libre dans l’administration (APRIL). De nombreux pays, sur les cinq continents, ont adopté la même démarche par souci d’économie (sur les licences), de standardisation et de pérennité de leurs documents.

Les documents de référence de l’administration électronique française

Les solutions ouvertes du logiciel libre sont régulièrement adoptées comme standards. Ainsi, le logiciel libre contribue à fournir des solutions techniques répondant aux critères d’accessibilité, d’interopérabilité et de sécurité établis par l’administration dans ses référentiels. De tels référentiels pourraient faire l’objet d’un travail au sein de l’ESS.

Site http://www.references.modernisation... :

Le développement de l’administration électronique mobilise un réseau étendu d’acteurs : services centraux et déconcentrés de l’Etat, collectivités publiques, éditeurs de logiciel, prestataires de services, etc. Pour accroître la cohérence des systèmes d’information que conçoivent, développent et opèrent tous ces acteurs, le partage de standards et de normes est indispensable. En ouvrant references.modernisation.gouv.fr, la DGME a souhaité faciliter l’accès aux documents de référence qui présentent l’état de l’art dans ces domaines. Les références et liens vers les documents sont disponibles dans le dossier au format pdf.

L’expérience du Brésil

Au Brésil, le logiciel est considéré comme un bien public. Un « portail brésilien du logiciel public » a été mis en place en 2007 (http://www.softwarepublico.gov.br/) pour donner accès aux logiciels, développés sur fonds publics et déposés sous licence GPL. Ce portail permet ainsi des échanges d’expériences, et sert de creuset pour de nouvelles collaborations entre acteurs publics et privés et acteurs de la société civile, orientées vers la génération de revenus. Des logiciels développés à l’initiative de l’état et pour son usage propre sont disponibles et utilisés dans différents contextes. Les entreprises privées commencent à investir le projet. Elles participent aux développements et proposent une offre autour de ces logiciels.

Si la participation comparée au 50 000 utilisateurs du portail, reste faible, la raison invoquée est le manque de compétences et d’initiatives « d’inclusion digitale », cette initiative renforce le mouvement libre bien au-delà des frontières brésiliennes. Lors de sa présentation à l’Open World Forum en octobre 2009 à Paris, Corinto Meffe ministre du Plan, souligne que le logiciel libre n’est pas seulement adopté pour réduire les coûts. Il permet aussi d’accroître la qualité et la souplesse des processus de résolution de problèmes rencontrés par la société. La production de connaissances dans un écosystème collaboratif conduit à de meilleurs résultats en moins de temps que la production de connaissances dans un environnement non-collaboration. Les résultats de cette production collective sont appropriés par la société entière. Ainsi, le « portail brésilien du logiciel public » intègre les participants à un nouveau modèle de production de connaissances technologiques, contribuant de manière significative au développement économique et social du Brésil. Le Brésil offre avec ce concept politique un modèle original pour le développement d’un pays. Cette initiative pourrait être rapprochée, toute proportion gardée, de la proposition de forge « sociale » mise en place par l’AI2L depuis quelques semaines.

Une présentation détaillées est publiée dans le chantier de prospective 2020 Road Map (http://map.org/roadmap/theme-7-brazil/).

Et l’économie sociale et solidaire

Beaucoup d’organismes de l’économie sociale et solidaire utilisent le libre parce que « c’est moins cher ». Les acteurs du logiciel libre se préoccupent de pénétrer le marché de l’ESS. L’industrie du logiciel libre se développe pour partie sous la forme de SCOPs ou d’entreprises solidaires, d’associations. Les informaticiens, développeurs et animateurs de réseaux, prestataires de services essaient ainsi de mettre en accord les valeurs qui les animent et leurs pratiques quotidiennes.

Mais le mouvement du libre et celui de l’ESS ont d’autres liens qui les attachent l’un à l’autre. Ils contribuent chacun à leur manière aux biens communs et partagent une vision alternative de l’économie au service de la transformation de notre société et de l’émancipation des personnes. La convergence entre ces deux mouvements est certainement un des enjeux pour les années à venir. Ils partagent aussi une approche pragmatique qui associe réflexion et mise en pratique.

Les alliances multiples entre ces mouvements, appelées par exemple de ses voeux par Bastien Sibille dans une tribune publiée sur le site de Rencontres sociales (http://rencontres-sociales.org/spip...), s’avèrent être un vaste chantier dont peu d’acteurs sont font une idée claire.

Des initiatives à la croisée des chemins de l’ESS et du LL

Comme le montre le programme des RMLL 2009 (rencontres mondiales du logiciel libre) organisées chaque année en France, ce chantier dépasse largement les dimensions commerciales : « biens communs et pratiques collaboratives », dynamiser le lien social local, cultures libres, réseaux d’hébergement solidaire, lien social regagné par le don d’ordinateur

Conférences sur le sujet LL et ESS dans les RMLL 2009

(http://2009.rmll.info/-Economie-Soc... )

Responsables du thème : Sarah Trichet-Allaire et Lucien Petit

Solidaire et coopératif ? oui mais aussi biens communs et pratiques collaboratives... une appropriation à construire pour les acteurs de l’ESS
Redynamiser le lien social local, par l’économie sociale et solidaire, via un réseau Internet citoyen
Logiciels et cultures libres en Économie Sociale et Solidaire
Les communautés virtuelles des réseaux d’hébergement solidaire
Le logiciel libre face à la dépression économique
L’internet libre et l’économie solidaire : plus qu’une complicité
l’Atelier, Centre de ressources régional de l’économie sociale et solidaire
Chtilibre : Retour d’expérience sur le partenariat entre la ville de Lille et Chtinux
Étude de cas sur le développement d’une caisse de micro-crédit
Économie Sociale ou "Production entre pairs" ? Sur les relations entre économie sociale et « production entre pairs »
Associations, informatique et logiciels libres
ALIS44, le lien social regagné par le don d’ordinateur
Accompagner les associations dans leurs usages de l’informatique libre Réseaux, associations ou regroupements d’acteurs du logiciel libre

L’Ai2L

L’Association Internationale du Logiciel Libre (Ai2L) pour l’Economie Sociale est fondée en 2008 par trois partenaires français - le Groupe Chèque Déjeuner, le Crédit-Coopératif et la MACIF - et trois partenaires québécois - la Caisse d’économie solidaire Desjardins, Filaction et Fondaction CSN. L’Association finance la Chaire de Recherche du Québec en Logiciel Libre, basée à l’Université du Québec à Montréal. L’Ai2L porte trois actions - deux suites de logiciels libres, l’une pour les institutions de financement de l’économie sociale, l’autre pour les structures d’insertion par l’activité économique et la mise en place d’une Forge des Logiciels Libres pour l’Economie Sociale.

La Forge des Logiciels Libres pour l’Economie Sociale

Depuis un an et demi, l’Ai2L mûrit le projet d’une Forge des Logiciels Libres pour l’Économie Sociale et Solidaire. Aujourd’hui, ce projet est réalité sur : http://forge.ai2l.net/.

Cette Forge met en relation des informaticiens qui veulent s’engager sur des projets informatiques qui « ont du sens » sur le plan socio-économique et des structures d’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations...) qui ont des besoins de logiciels libres ; elle doit également permettre de « libérer » les logiciels informatiques qui ont déjà été développés par des structures de l’économie sociale afin que d’autres structures puissent en bénéficier.

Au-delà des développements informatiques, elle peut être une plateforme de soutien au travail d’associations de promotion du Libre dans l’ESS. De ce point de vue, cette initiative présente des similitudes et pourrait être comparée, toutes proportions gardées, avec le « portail brésilien du logiciel public » évoqué plus haut (http://www.softwarepublico.gov.br/)

Libre Social et Solidaire :

un groupe d’échange de pratiques en court de constitution, initié par l’AI2L, la FING et Rencontres sociales.

Libre Entreprise

http://www.libre-entreprise.com/ En 2002, Easter-eggs crée le réseau Libre-entreprise, premier réseau de sociétés de service en logiciel libre. Son développement est fondé sur celui de la communauté du libre : mutualisation des compétences et transparence.

L’organisation en réseau permet de proposer une offre commerciale étendue et de disposer d’un ensemble de ressources spécialisées et diversifiées. Chaque entreprise du réseau fonctionne comme une unité de gestion indépendante.

Les sociétés du réseau Libre-entreprise sont implantées sur toute la France : Nantes, Laval, Lille, Liévin, Paris, Montpellier, Toulouse, Grenoble, Bayonne, Bourges et Tours.

Elles interviennent dans les secteurs de service en logiciel libre, de l’E-administration et identité numérique, de l’Intégration de progiciel de gestion intégré en logiciel libre, du Web logiciel libre, et de la formation.

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Notes

[1] La place des logiciels libres dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, dans l’administration, en France, en Europe et dans le monde, Nov 2009 Geneviève Romier (CNRS/UREC) et Jean-Luc Archimbaud (CNRS/UREC)

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