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Corinne Lepage : « l’Economie Sociale et Solidaire apporte des réponses à de nombreux dysfonctionnements de la société »

28 novembre 2011 - Alain Goguey

Présidente de Cap 21, Corinne Lepage est la seule candidate déclarée à être venue en personne répondre aux questions du Ceges. En réponse aux questions du Ceges, elle a formulé, sous la forme d’un inventaire à la Prévert, toute une série de propositions articulées autour de trois axes, la responsabilité sociale des entreprises, la santé et la solidarité et le développement de l’Économie Sociale et Solidaire car pour Corinne Lepage, l’ESS est essentielle.

« L’Economie Sociale et Solidaire est quelque chose d’absolument essentiel et je réponds évidemment oui aux trois questions. Nous sommes dans une période de transitions, transition notamment économique, qui implique des changements sur le plan énergétique, sur le type d’activités économiques et également sur le plan entrepreneurial.
La multiplicité des formes d’entreprise est quelque chose d’essentiel et le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire permet d’apporter beaucoup de réponses aux questions, et plus encore aux dysfonctionnements de la société contemporaine ».

« Si nous voulons retrouver l’espoir et la manière d’être ensemble, l’exemplarité, le mode de fonctionnement et le type d’activités de ce secteur constitue une réponse opportune qui doit être renforcée et qui doit s’imposer au regard des autres types d’entreprises et notamment je pense aux plus grandes d’entre elles ».

Pour que l’Economie Sociale et Solidaire puisse être cet outil de transition vers une économie sociale de marché, Corinne Lepage formule trois types de propositions.

Le « reporting » social et financier, un outil fondamental

Premier axe : tout d’abord l’obligation sociale de stimuler la responsabilité sociale de tous les acteurs économiques. Et l’Economie sociale et solidaire peut être « l’aiguillon pour obliger les autres à aller dans ce sens, celui de la responsabilité sociétale ».

Et Corinne Lepage de rappeler que cela ne va pas de soi puisqu’un « lobby très efficace du Medef a amené à reporter d’un an l’obligation pour les entreprises de rédiger un rapport annuel sur leur impact sur l’environnement et leur stratégie de développement durable ». [1] « Ce n’était pas grand chose mais c’était encore trop. » Pour Corinne Lepage ce reporting est absolument fondamental.

« Si nous voulons que nos concitoyens puissent comparer dans leur globalité les services qui leur sont offerts par les différents secteurs d’activité et par les différentes formes d’entreprise, il faut qu’ils puissent disposer d’outils de comparaison. Faire l’économie de ce reporting, c’est une façon pour les grandes entreprises de ne pas avoir à se justifier sur leurs choix ».

Pour Corinne Lepage, il faut également « revoir la fiscalité pour favoriser les activités économiques du mieux-disant sociétal. Comment ? C’est à inventer ; peut être un système de bonus / malus. La France a à repenser la totalité de sa fiscalité. On n’en fera pas l’économie et il faudra autre chose que le bricolage auquel on est en train de se livrer actuellement ». Et d’ajouter : « Il est fondamental que le mieux-disant sociétal soit un élément déterminant de cette fiscalité revisitée. Le système actuel favorise ceux qui ont un comportement de prédateur et qui externalisent puisque ce sont ceux qui échappent le plus à l’impôt. A contrario, ceux qui sont soucieux d’avoir un comportement sociétal exemplaire et d’employer des salariés, sont également ceux qui sont le plus imposés. Nous nous tirons une balle dans le pied en permanence ».

« Il est également indispensable de développer l’investissement socialement responsable pour mobiliser les fonds privés et favoriser le développement des entreprises sociétalement responsables. Comme les entreprises, les investisseurs institutionnels doivent faire un reporting annuel sur la manière dont les outils extra financiers sont pris en compte ».

« Nous avons besoin également d’un label ESS pour que les particuliers sachent exactement la nature des produits qui leur sont proposés. Nous avons besoin d’un référentiel normalisé en matière de données extra financières pour éviter qu’on nous raconte n’importe quoi et qu’on se retrouve avec un green washing sur ce registre. Et il sera peut-être nécessaire de mettre en place un conseil national de financement ».

Définir les politiques de santé avec l’ensemble des acteurs, mutuelles comprises

Deuxième volet : comment, avec les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire, faire évoluer l’Etat-providence ? Pour Corinne Lepage, « il s’agit bien sûr de se poser des questions qui peuvent être douloureuses. Est-ce que nos politiques publiques de santé doivent être définies uniquement au niveau gouvernemental avec des logiques financières ? Doit-on déterminer ce que doit être le droit à la santé pour tous avec les mutuelles, les organisations syndicales et l’ensemble des parties prenantes ? »

Et de préciser que « le droit à la santé ne se réduit pas à la simple réparation de la maladie. Notre actuel ministère de la Santé est un ministère de la maladie. Au sens de l’OMS, la santé c’est le bien être physique, psychique et social. La prévention est fondamentale. Sans aller jusque là, on peut s’inspirer de la logique mise en œuvre en Chine où l’on paie pour la prévention mais pas pour les soins puisque, s’il y a maladie, c’est que la prévention a failli ».

« Il faut donc remettre les mutuelles au cœur de la définition des politiques de santé publique. Il faut penser solidarité indivisible et revoir les liens entre les pouvoirs publics et l’industrie de la santé et du médicament. Même si l’affaire du Mediator a permis de faire un peu évoluer les choses, comme présidente de la commission santé environnement du Parlement européen, je suis bien placée pour voir qu’il y a encore d’inadmissibles conflits d’intérêt au sein des autorités sanitaires en France comme au niveau européen ».

Que faire ? « Evidemment revenir sur les nouvelles taxes qui viennent d’être imposées aux mutuelles ? Utiliser au maximum la possibilité donnée par l’Union européenne aux Etats de mettre en place des secteurs protégés d’intérêt général et permettre, en les légitimant, des distorsions de concurrence. Donner un droit d’accès à une couverture complémentaire pour tous, simplifier les conditions d’accès à la couverture maladie universelle de base ainsi qu’à une complémentaire santé et travailler également avec le secteur mutualiste pour développer et consolider l’action des services de soins et d’accompagnement mutualistes et enfin permettre aux TPE et aux PME d’offrir par des mécanismes de mutualisation des moyens permettant à leurs salariés de bénéficier d’une couverture complémentaire ».

Droit de préemption pour les salariés

Enfin dernier axe : le développement des entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire en France et en Europe. « Faciliter la création d’une organisation professionnelle et bien dissocier les fausses entreprises de l’ESS. S’engager activement dans la relance des processus d’instauration d’un statut des mutuelles au niveau européen. Veiller à ce que les projets de défense des coopératives européennes et d’instauration d’un statut de la fondation européenne permettent leur développement au niveau européen. Garantir un droit de préemption aux salariés sur leur entreprise en cas de cession pour qu’ils puissent développer une solution coopérative ».

« Les idées ne manquent pas. J’ai pu visiter, ajoute-t-elle, de nombreuses entreprises dans lesquelles un projet de reprise en coopérative par les salariés n’a pas pu aboutir parce que la maison mère ne voulait pas vendre. Et pourtant le projet des salariés était un projet intelligent. Il est nécessaire que les salariés puissent faire jouer leur droit de préemption chaque fois que c’est possible ».

« Nous devons également créer de nouvelles formes d’entreprises, ouvertes notamment aux collectivités territoriales pour permettre de disposer d’outils juridiques et économiques pour redynamiser les territoires ».

Et de conclure : « Nous avons un monde nouveau à construire qui passe par trois révolutions. La révolution du temps. Reconquérir le long terme à l’oppose du temps de l’instantané, du temps boursier. La révolution des rapports au monde. Nous devons passer d’un système de prédation à un système de soutenabilité. Si le système n’est pas soutenable, il ne durera pas. Enfin la révolution du rapport de l’homme à l’homme et de l’homme à l’autre. Nous avons vécu dans un système qui a cultivé jusqu’à l’extrême l’individualisme et matérialisme. Nous devons inventer un modèle qui redonne toute sa place à la solidarité, à l’entraide et au développement économique. Un modèle qui peut s’inspirer de l’exemple du secteur de l’ESS ».

Alain GOGUEY


[1] Ce reporting social figurait dans le « Grenelle 2 » de l’Environnement qui prévoyait d’étendre, à toutes les entreprises de plus de 500 salariés, l’obligation de publier dans leur rapport annuel des informations sur la manière dont elles exercent leur responsabilité sociale et environnementale.

http://www.nord-social.info/spip.ph...

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