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L’Argentine adopte une loi sur la reprise des entreprises

13 juin 2011

Un article du blog de Baptiste Bloch sur le site MEDIAPART

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Au terme d’un labyrinthe législatif, une importante réforme de la loi des faillites a été approuvée par le Sénat de la nation, mercredi dernier. C’est l’accomplissement d’une revendication historique des entreprises récupérées argentines, et un signe de leur normalisation.

« Avec l’approbation de cette loi, des milliers d’ouvriers d’Argentine récupèrent le droit de produire et de se répartir les fruits de leur travail », s’est félicité le Dr. Luis Caro, président du Mouvement National des Fabriques Récupérées par leurs Travailleurs (MNFRT), à l’origine du projet de loi. Les bénéfices de la réforme sont au nombre de quatre.

En premier lieu, les travailleurs gagnent un droit de contrôle sur les dépôts de bilan. Un travailleur, désigné par ses collègues, pourra assister aux audiences, réviser les dossiers des créanciers et ainsi vérifier si les entrepreneurs ont fraudé. Il sera également informé de tous les mouvements dans le dossier pour prévenir les tentatives de sabotage de la source de travail.

Une autre avancée majeure est celle qui accorde aux travailleurs la possibilité d’être candidats au sauvetage de leur entreprise, en utilisant leurs crédits salariaux (indemnisations) pour acquérir les actions, et ainsi éviter la faillite.

Dans ce processus, ils pourront utiliser 100% de leurs crédits salariaux pour acheter les machines, la marque et les bâtiments, à condition de former une coopérative de travail ; jusqu’à présent, seuls 50% de leurs indemnisations leur étaient garanties et ce mécanisme de compensation n’était pas automatique.

Enfin, la réforme établit que les hypothèques seront suspendues pendant deux ans, chaque fois que la coopérative formée par les anciens travailleurs le demandera. Cela leur donnera de l’oxygène pour relancer l’entreprise avant de devoir rembourser ses créanciers.

Cette loi a été accueillie positivement par l’essentiel des organisations représentatives d’entreprises récupérées. « C’est le résultat de nombreuses années de lutte et cela va aplanir le chemin des travailleurs pour qu’ils puissent prendre en charge leurs entreprises », s’est réjoui le titulaire de la Confédération Nationale des Coopératives de Travail (CNCT), José Felix Sancha.

En effet, la loi actuelle, œuvre du gouvernement néolibéral des années 90, était conçue pour permettre aux entrepreneurs de liquider une fabrique à moindre coût. A l’époque, les travailleurs étaient peu ou pas indemnisés, et il était fréquent que les juges répondent aux occupations d’usines par un délogement, afin de pouvoir procéder à la liquidation.

En réalité, la jurisprudence de certains juges sensibles aux revendications des travailleurs1, leur permettaient déjà d’employer leurs crédits salariaux pour le sauvetage de leur entreprise ; mais cette solution était réservée à la discrétion des magistrats. Il aura fallu 10 ans pour qu’elle soit inscrite dans le droit.

Cette adaptation législative révèle une certaine normalisation du phénomène de récupération d’entreprises – les statistiques du ministère du travail de la nation font mention de 280 cas dans le pays. Ce qui apparaissait comme disruptif dans le contexte de la crise de 2001 s’est aujourd’hui ancré dans le paysage socio-économique argentin, et la défense de la source de travail a acquis une forte légitimité. Il est ainsi significatif que cette loi ait obtenu la quasi unanimité à la chambre des députés comme au sénat.

Cette réforme vient enterrer la première voie légale historiquement empruntée par les entreprises récupérées, que sont les lois d’expropriation2. La ville ou l’Etat provincial, reconnaissant le droit au travail comme un motif d’utilité publique, expropriaient les établissements en faillite avant de les confier sous forme de commodat aux ex-travailleurs regroupés sous forme de coopératives. La faiblesse de ces lois venait du fait que les expropriations n’étaient presque jamais indemnisées, replongeant les travailleurs dans la procédure d’insolvabilité une fois le délai écoulé dans le cas des expropriations provisoires, ou les laissant dans une précarité juridique importante lorsque les anciens propriétaires en venaient à attaquer la loi en justice.

Certains travailleurs d’entreprises récupérées continuent néanmoins à défendre l’expropriation face au rachat des entreprises en faillite par leurs travailleurs. C’est le cas des membres du Mouvement National des Entreprises Récupérées (MNER) et de l’Association Nationale des Travailleurs Autogérés (ANTA) qui réclament une Loi Nationale d’Expropriation pour les entreprises récupérées, accompagnée de la création d’un fond d’indemnisation. Ils considèrent en effet que ce n’est pas aux travailleurs de prendre en charge les dettes de leurs anciens patrons. Certains partis d’extrême-gauche vont quant à eux jusqu’à réclamer une loi d’expropriation sans indemnisation. En effet, la voie adoptée par la réforme en cours, inspirée de la philosophie réformiste du MNFRT, est celle qui contredit le moins le droit de propriété.

Cette réforme avait été rejetée une première fois par le Sénat en 2004. Le 17 mars 2010, la présidente Cristina Kirchner avait annoncé son intention de présenter un nouveau projet de modification de la loi des faillites. Celui-ci est arrivé à maturation en novembre dernier, au terme d’un arbitrage législatif de plusieurs mois entre le projet gouvernemental et la proposition alternative d’une députée de gauche. Il a finalement été approuvé à la chambre des députés le 14 avril dernier par 196 voix contre une et deux abstentions, et au sénat le 1er juin par 47 voix pour et trois abstentions.

La nouvelle loi viendra modifier la loi des faillites et des dépôts de bilan, mais ne crée pas pour autant un cadre légal spécifique aux entreprises récupérées. C’est dans ce sens qu’une sénatrice a déposé une proposition de loi corrective visant à « éviter de confondre la vente d’une entreprise en faillite avec la vente d’une entreprise en sauvetage ». Celle-ci prévoit en outre la possibilité pour les entreprises récupérées d’embaucher des employés en relation de dépendance, dans le cas où ces travailleurs ne veulent ou ne peuvent former partie de la coopérative. Les organisations d’entreprises récupérées se sont inquiétées d’une proposition qui « crée deux catégories, travailleurs de première et de seconde dans les coopératives, au lieu de proposer une nouvelle loi sur les coopératives de travail qui régule ces entités pour éviter la fraude salariale ».

« Maintenant nous misons sur une loi sur les coopératives de travail, qui envisage et régule les relations de travail dans le nouveau scénario du coopérativisme de travail, pour éviter la fraude et l’exploitation », a déclaré José Felix Sancha suite au vote de la loi mercredi dernier.

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