Rencontres Sociales

Tribune

2012, l’Europe sous tutelle ?

Une réflexion de Guillaume Duval dans Alternatives Economiques

9 janvier 2012

"Faute d’avoir su trouver un compromis acceptable entre eux pour répondre à la crise des dettes publiques, les leaders européens ont préféré prêter 200 milliards au FMI pour qu’il puisse intervenir en Europe à leur place. Un abandon de souveraineté décrypté par Guillaume Duval dans sa tribune dans Libération.
Nous voici à l’aube de 2012...

Cela fait donc déjà plus de deux ans que la crise s’est muée en une profonde crise de la zone euro. Malgré l’accord du 9 décembre dernier, rien n’indique que la zone soit sur le point de se tirer d’affaire avec l’année nouvelle. Au contraire, la volonté affichée ce jour-là d’impliquer encore plus le Fonds monétaire international (FMI) dans la résolution de la crise risque d’entraîner une perte de souveraineté qui menace probablement davantage l’avenir de l’Europe qu’une explosion catastrophique de la zone euro.

C’est surtout le carcan budgétaire qu’Angela Merkel veut « graver dans le marbre » avec le soutien de Nicolas Sarkozy qui a retenu l’attention – et suscité les critiques – après le sommet du 9 décembre dernier. Cette insistance quasi obsessionnelle sur la discipline budgétaire se fonde pourtant sur une erreur de diagnostic : la crise de la zone n’est pas due en premier lieu à la dérive de l’endettement public avant la crise mais à celle de l’endettement privé. Les « règles d’or » renforceraient le caractère déjà trop restrictif des politiques qui poussent la zone euro dans la récession. Elles l’empêcheraient en réalité de réduire son endettement, comme le montre le fiasco grec : après quatre ans de récession, la dette grecque a quasiment doublé depuis 2007… A plus long terme, ce carcan s’avèrerait de toute façon impraticable, faute de capacité d’action budgétaire contracyclique suffisante au niveau de la zone.

Mais il y a eu plus grave le 9 décembre que ce projet de futur traité éventuel encore loin d’être concrétisé : les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pris aucune décision de nature à décourager dès maintenant la spéculation contre les dettes européennes. Ils ont refusé d’accroître les moyens du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du futur Mécanisme européen de stabilité (MES). Et cela malgré l’échec flagrant des « solutions » envisagées lors du précédent sommet « décisif » pour doper le FESF en faisant appel au secteur privé ou à des Etats étrangers. Ils ont refusé également d’accorder au MES une licence bancaire qui lui aurait permis, le cas échéant, de se refinancer auprès de la Banque centrale européenne (BCE) comme viennent de le faire les banques européennes à très grande échelle. Ils n’ont pas davantage avancé dans la mise en œuvre d’eurobonds, de titres de dettes émis et garantis conjointement. Ils n’ont pas non plus daigné examiner la proposition intéressante des cinq sages qui conseillent le gouvernement allemand de mutualiser la partie des dettes publiques excédant les 60 % du PIB pour permettre aux Etats très endettés de repartir sur des bases assainies. Tandis que, de son côté, la BCE n’est pas sortie de ses retranchements pour indiquer qu’elle interviendrait sans limite si les taux imposés à l’Italie ou l’Espagne continuaient à atteindre les niveaux déraisonnables des dernières semaines.

Bref rien, sauf une proposition surréaliste : ces Etats désargentés, incapables de s’entendre pour accroître les moyens des outils proprement européens de lutte contre la spéculation, ont décidé de… prêter 200 milliards d’euros au FMI, soit 2 % du PIB de la zone euro. Et cela pour que le FMI puisse intervenir en Europe si l’Espagne ou l’Italie avaient besoin à leur tour d’être soutenues. Ce qui signifierait que cinq Etats de la zone, et pas des moindres, seraient placés durant de longues années sous la tutelle d’une organisation qui ne prend ses ordres ni au Parlement européen, ni dans les Parlements nationaux des pays européens, ni même au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, mais à Washington auprès de son conseil d’administration. Certes, la directrice générale du Fonds est aujourd’hui une Française, mais cela ne change pas grand chose à l’affaire, d’autant qu’il y a de fortes chances que son successeur ne soit plus un Européen. Dès le départ, l’implication du FMI dans la crise de l’euro avait été – à juste titre – combattue par la BCE, car elle menaçait la souveraineté de l’Europe. Elle avait cependant été imposée par le gouvernement allemand, la présence de DSK à la tête de cette institution ayant convaincu les autres Européens de l’accepter dans l’urgence.
Le FMI disposait certes d’une expertise en matière de gestion de crise que l’Europe n’avait pas : il a en particulier appris de ses propres erreurs avec les plans d’ajustement structurels imposés aux pays d’Afrique ou d’Amérique latine dans les années 1980. Et d’ailleurs vis-à-vis de la Grèce, les représentants du FMI ont été plutôt moins « faucons » que ceux de la BCE et de la Commission européenne. Il n’empêche : l’engagement du FMI dans la zone euro, s’il ne doit plus seulement concerner une poignée de petits pays périphériques mais aussi l’Italie et l’Espagne, signifierait en pratique la mise sous tutelle de la zone et par extension de la construction européenne.

Le plus rageant dans ce renoncement volontaire à la souveraineté européenne est que l’Europe n’a en réalité aucun besoin de fonds extérieurs pour résoudre sa crise. Ses comptes extérieurs sont équilibrés et l’épargne de ses ménages est abondante, trop même en France, en Italie ou en Allemagne. Le problème – le seul, mais il est visiblement rédhibitoire – c’est qu’il faudrait s’entendre entre nous sur la façon de mobiliser ces moyens et de nous entraider. Incapables d’avancer sur ce terrain, les chefs d’Etat et de gouvernement ont donc préféré, le 9 décembre dernier, confier les clés de l’Europe au FMI. Si on devait réellement en arriver à une intervention du Fonds en Italie et en Espagne, ceux qui écriront l’histoire de cet épisode, les accuseront probablement d’avoir trahi l’Europe et les Européens."

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