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Rapport Vercamer : quatre orientations et cinquante propositions pour développer une économie humaniste

10 mai 2010

Une approche du rapport Vercamer par notre ami et partenaire Alayn Goguey de Nord Social Infos

Mots clés

Après six mois de travail et 50 auditions, le député nouveau centre Francis Vercamer a remis son rapport sur l’économie sociale à Marc Philippe Daubresse et Laurent Wauquiez. Ce rapport présente une cinquantaine de propositions, rassemblées dans le cadre de quatre grandes orientations. Et son ambition est, si l’on en croit les déclarations du parlementaire en mission et des deux ministres qui étaient les destinataires de ce rapport, d’aider et d’accompagner le développement de l’économie sociale et solidaire.

Avec comme fil conducteur, le fait « d’éviter que l’économie sociale soit ghettoisée par rapport à l’économie classique et de faire en sorte en même temps que les valeurs de l’économie sociale ne soient pas diluées dans l’économie classique ».

Pour le député du Nord, qui, avant ce rapport, n’était pas forcément un grand connaisseur de ce secteur, l’économie sociale et solidaire, c’est 8 % du PIB (produit intérieur brut) et 10 % de l’emploi salarié en France. « C’est un secteur qui peut jouer comme un amortisseur », explique Francis Vercamer qui observe qu’il a plutôt mieux résisté à la crise et où l’on y enregistre le double de créations d’emplois que dans l’économie classique.

Nous avons déjà évoqué les conditions dans lesquelles Francis Vercamer a réalisé son rapport.
Voir l’article « Faisons en sorte que l’économie sociale puisse redonner le sens de l’économie à une société qui l’a perdu ».
« Il nous a fallu tout d’abord cerner les enjeux et identifier les difficultés et les freins au développement qui nous ont été exposés par les acteurs du secteur eux-mêmes ». Le périmètre de ce secteur est complexe puisqu’il rassemble aussi bien de grandes mutuelles de santé ou d’assurance et de grosses sociétés bancaires que des associations ou des coopératives de petite taille.

Il est d’autant plus difficile à cerner que, à côté du secteur traditionnel de l’économie sociale et solidaire qui est composé des mutuelles, des coopératives, des fondations et des associations, un nouveau venu, le mouvement de l’entrepreneuriat social revendique son appartenance au secteur de l’économie sociale. Ce sont des entrepreneurs qui, dans le cadre d’une entreprise classique, ont fait le choix de donner du sens à leur activité et de se rapprocher de l’économie sociale.

Le secteur de l’économie sociale et solidaire est donc un secteur « en profonde mutation avec une sorte de querelle entre des anciens qui seraient arc-boutés sur les statuts mais qui sont prêts à évoluer et des modernes qui considèrent que la finalité est plus importante que les statuts, note le député. Nous n’avons pas tranché ce débat car nous avons cherché à prendre en compte les deux sphères en essayant de les rapprocher et de créer une émulation de façon à ce que l‘économie sociale fasse tache d’huile dans l’économie classique et qu’elle redonne du sens à l’économie ».

Peu connue et peu reconnue

Premier constat de Francis Vercamer. L’économie sociale est peu connue et peu reconnue. Pour autant il est important de pouvoir mesurer son poids réel dans l’économie, un poids qui est plus important que celui que l’on cite traditionnellement (9 % du PIB) car ce chiffre ne prend pas en compte le bénévolat associatif, lequel apporte une valeur ajoutée qui n’est pas mesurée.

Deuxième constat : il existe de nombreuses spécificités de l’économie sociale et solidaire qui ne sont pas prises en compte jusqu’à présent et qui bien souvent ne sont pas reconnues au niveau européen. De plus l’économie sociale n’a parfois pas accès au droit commun, soit par méconnaissance, soit parce que ses statuts ne le lui permettent pas.

Troisième constat : « l’économie sociale à des valeurs et une éthique, dont il nous paraît important qu’elles soient véhiculées et qu’elles essaiment au sein de l’économie classique, » déclare Francis Vercamer.

Quatrième constat : c’est un secteur qui a, qui a eu et qui a toujours vocation à travailler sur l’innovation. Et Francis Vercamer de rappeler que la récupération des déchets, le micro crédit ou le marché d’occasion ont commencé dans l’économie sociale. « C’est un secteur qui est capable de s’adapter rapidement aux nouvelles donnes du marché. C’est un secteur très important pour développer de nouveaux métiers de la croissance verte, qui ne sont pas encore rentables pour l’économie classique ou qui ne peuvent pas être pris en charge par le secteur public ».

Partant de ces constats, « nous avons posé quatre orientations qui permettent de définir une politique générale et qui visent tout d’abord à une meilleure visibilité du secteur, à faciliter l’accès aux dispositifs de droit commun, à promouvoir une politique d’aide et d’accompagnement qui tienne compte les spécificités de l’économie sociale et solidaire et enfin à prendre en compte le secteur de l’économie sociale et solidaire au moment de l’élaboration des politiques publiques ».

Pour une meilleure visibilité

Cette meilleure visibilité et cette meilleure reconnaissance de l’économie sociale et solidaire passent notamment par une démarche de labellisation de l’économie sociale et solidaire en élargissant l’approche statutaire traditionnelle. Avec création de deux labels, l’un qui prenne en compte l’entrepreneuriat social, l’autre plus transversal, qui permettrait de rassembler l’économie sociale autour du concept de finalité sociale ou d’utilité sociale.

Mais c’est aux acteurs eux-mêmes de définir ces labels, explique Francis Vercamer qui précise qu’il a reçu un courrier daté du 12 avril signé des représentants de l’économie sociale et des entrepreneurs sociaux l’informant du fait qu’ils avaient créé un groupe de travail sur ces questions. Dans les deux cas, ces labels, qui seraient à validité limitée, seraient décernés par des organismes tiers.

Ces labels présenteraient l’avantage d’une meilleure reconnaissance et de faciliter la mobilisation de financements publics (subventions) ou privés (mécénat, fondation). Ces labels pourraient également faire partir des critères des sélections des offres.

Quant à savoir si de tels labels éviteront « le développement d’un usage commercial abusif du concept et des valeurs de l’économie sociale », le précédent de la responsabilité sociale des entreprises montre qu’il risque d’y avoir loin de la coupe aux lèvres. Les exemples ne manquent pas de grandes entreprises ou de grands groupes qui se sont engouffrés sur ce créneau de la RSE et qui, dans le même temps, sont des entreprises qui pratiquent parfois des organisations du travail toxiques et où la souffrance au travail n’a rien de virtuel.

Pour un développement territorialisé

Autres propositions visant à favoriser une meilleure connaissance et reconnaissance du secteur, celles qui visent à développer une sorte d’architecture territorialisée de l’économie sociale et solidaire par un soutien apporté aux CRESS (chambres régionales de l’économie sociale et solidaire) qui ne sont pas développées partout, lesquelles seront amenées à travailler plus étroitement avec les chambres de commerce et d’industrie et les chambres des métiers. L’articulation des relations entre les CRESS et les organismes consulaires restent encore à préciser, l’idée force étant que les premières ne doivent pas être « ghettoïsées » dans les secondes.

Dans son idée d’une ESS qui interpénétrerait l’économie classique et dont les valeurs feraient tache d’huile dans l’économie classique, Francis Vercamer imagine que sur des zones d’activités qui se créent, les CRESS soient associées pour que des entreprises de l’ESS puissent s’y installer au milieu d’entreprises classiques. De même, il préconise la mise en place d’incubateurs territoriaux pour développer l’économie sociale, soit au sein des incubateurs classiques, soit dans le cadre d’incubateurs spécifiques lorsqu’il s’agit d’activités innovantes.

Et, s’inspirant de l’exemple de l‘APES du Nord – Pas-de-Calais, le député du Nord imagine également l’émergence de véritables agences de développement de l’économie sociale et solidaire. Ce sera là un chantier pour le prochain conseil supérieur de l’économie sociale dont Francis Vercamer préconise qu’il soit doté d’un vice-président qui serait un parlementaire pour que le portage politique soit plus opérationnel que s’il est simplement présidé par un ministre qui n’a pas toujours la disponibilité nécessaire. A l’instar de ce qui a été fait pour le conseil national de l’insertion par l’activité économique qui est désormais présidé par un parlementaire, Yves Censi, député UMP de l’Aveyron qui a remplacé Hugues Sibille. Actuellement le conseil supérieur de l’économie sociale est présidé par Christine Lagarde.

Des dispositifs de consolidation

Des propositions ont également été formulées, qui visent à faciliter l’accès aux dispositifs de droit commun et à permettre aux associations de pouvoir consolider leur trésorerie ou aux coopératives de renforcer leurs fonds propres pour pouvoir financer des investissements ou faire face aux aléas de l’activité en s’inspirant notamment de ce qui existe pour les PME innovantes.

Pour faciliter la reprise d’entreprises en difficulté dans le cadre du statut coopératif, une « tuyauterie » est à inventer pour permettre cette reprise sans attendre que l’entreprise ait été liquidée car dans ce cas-là il est bien souvent trop tard. « Mais attention à ne pas envoyer ces salariés au massacre car ce n’est pas la solution miracle même si cette formule a fait ses preuves, dans la Drôme notamment » précise Laurent Wauquiez.

Même chose pour aider des associations à fusionner ou à se rapprocher pour atteindre la taille critique nécessaire à une pérennisation de leur activité. Au passage, Francis Vercamer préconise le développement des formations à l’économie sociale et solidaire, dans le cadre de l’université et des grandes écoles aussi bien que dans celui de la formation continue.

Enfin, le député du Nord reconnaît que la disparition de la DIIESES pose problème et qu’il conviendrait de dédier à l’ESS un service spécifique de l’administration de Bercy, une proposition que les deux ministres se sont bien gardés de relever. Il propose que les 100 millions d’euros du grand emprunt qui sont dévolus à l’économie sociale soient affectés prioritairement à l’innovation et aux besoins émergents de telle façon que cette enveloppe puisse jouer un effet levier et engendrer des co financements permettant un véritable développement de l’économie sociale et solidaire. Et de conclure en souhaitant que « les valeurs de l’ESS puissent essaimer sur l’économique classique qui en a bien besoin »

Laurent Wauquiez et Marc-Philippe Daubresse

« Ce n’est pas un secteur gadget »

Pour le secrétaire d’Etat à l’Emploi, Laurent Wauquiez, « l’économie sociale, ça compte. Ce n’est pas un secteur gadget. C’est même un élément structurant de notre politique de l’emploi et de l’économie. Nous avons investi plus de 200 millions d’euros dans le cadre du plan de relance au secteur de l’insertion par l’activité économique, somme à laquelle s’ajoutent 100 millions d’euros du grand emprunt. Ce qui représente trois fois le montant total annuel des investissements de l’économie sociale en France (30 millions d’euros). Il s’agit là d’un véritable changement d’échelle ».

« Du point de vue de l’emploi, c’est un secteur majeur puisqu’il crée deux fois plus d’emplois que le secteur traditionnel, que ce sont des emplois non délocalisables, qui se situent le plus souvent dans des secteurs d’avenir à fort potentiel de développement : marchés éthiques ou activités d’intérêt général comme la santé, la petite enfance, l’éducation ou le grand âge… L’économie sociale est à un carrefour. Elle a déjà beaucoup œuvré et elle a besoin aujourd’hui d’une reconnaissance de la part des pouvoirs publics pour aller plus loin. D’où l’intérêt de profiter de la dynamique que ce rapport a créée pour essayer de mettre en œuvre très vite toutes les propositions qui peuvent l’être ».

Pour Laurent Wauquiez, les propositions de Francis Vercamer sont intéressantes même si elles ne pourront pas toutes être reprises. Un peu plus tard, Marc-Philippe Daubresse, le ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives sera plus positif puisqu’il a suggéré que toutes soient mise en œuvres, certaines d’ici quinze jours, d’autres, plus complexes et plus techniques, d’ici quinze mois.

Ceci étant, l’un et l’autre retiennent l’idée des labels, d’une meilleure structuration du secteur, notamment au plan territorial, d’une réforme du Conseil supérieur de l’économie sociale pour qu’il puisse être vice-présidé par un parlementaire, de dispositions permettant aux structures de l’ESS d’avoir accès aux dispositifs de droits communs, aux aides à l’innovation ou au crédit impôt recherche et d’un développement de l’enseignement de l’économie sociale et solidaire en France en liaison avec l’Université et la conférence des grandes écoles.

Une économie qui offre un supplément de sens

De son côté, Marc-Philippe Daubresse souligne que c’est là « un rapport majeur pour la nouvelle économie d’après la crise ». Outre qu’il formule des propositions précises, concrètes et significatives, il est en même temps porteur de sens.

« Et c’est sans doute, explique-t-il, ce qui a manqué aux mesures qui ont été portées en son temps par Guy Hascoet, lorsqu’il était secrétaire d’Etat à l’économie solidaire et aux innovations sociales. « Des mesures ont été prises mais elles n’ont pas donné lieu à un élan sans doute parce qu’elles ne sont pas arrivées au bon moment, sans doute aussi parce qu’on ne leur a pas donné ce supplément de sens que ce rapport donne à l’économie sociale ».

« Ce qui est intéressant dans ce rapport, c’est que, à côté des mesures techniques d’accès au financement, la volonté de déghettoïser ce secteur tout en ne le banalisant pas, il dessine une entreprise du troisième type, celle d’une société de l’après-crise. Ce rapport doit être le point de départ d’une vraie dynamique en vue d’un nouveau modèle qui sort des combats idéologiques du passé, entre tenants d’un système ultralibéral et partisans de systèmes sociaux alternatifs ».

« Trois jeunes sur quatre sont prêts à s’engager dans un nouveau travail à condition que celui-ci ait du sens et quatre sur cinq sont d’accord pour un service civique à condition que leur engagement associatif puisse se dérouler sur des causes auxquelles ils croient. Les questions de cohésion sociale sont aussi importantes que les questions de compétitivité. C’est là tout le sens de cette économie, son originalité et sa spécificité majeures. Elle porte des valeurs qui ne sont pas la recherche du profit à tous prix, du partage des fruits du travail entre les salariés, la garantie d’un certain nombre de droits et l’affichage d’un certain nombre d’objectifs qui peuvent être la préservation de la planète, la solidarité, la mutualisation… » Et de rappeler que les Canadiens parlent à son propos de produit intérieur doux.

« Comment dans un monde qui change à toute allure peut-on évoluer pour rester nous-mêmes et garder un certain nombre de valeurs fondamentales ? » Pour Marc-Philippe Daubresse, le temps est venu d’entreprises d’un troisième type, celles d’une société de l’après-crise, une société avec une finalité économique plus humaniste.

Des propos auxquels il serait somme toute assez facile d’adhérer si l’expérience ne nous avait instruit du fait que, en Sarkozye, entre le mot et la chose l’’écart peut être important et que le verbe sert parfois à camoufler le fait que, sur le terrain, c’est une politique inverse qui est mise en œuvre.

Alain Goguey

Le dossier de presse

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Lire le dossier de presse

Le rapport Vercamer sur l’ESS

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Le rapport Vercamer sur l’ESS

Petite synthèse des quatre orientations et des cinquante proppositions

Sur le blog de Francis Vercamer : Economie Sociale et Solidaire : pour une économie de sens

http://www.nord-social.info/spip.ph...

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