Rencontres Sociales

ESS/RSE

"La clause sociale"

26 août 2011 - Jean-Philippe Milesy

Nous publions ici une note de lecture du GRESEA [Groupe de Recherche pour une Stratégie économique alternative] de Bruxelles sur une article de Sylvain Zini de l’UQUAM (Université du Québec à Montréal) pour la revue Recherches internationales.

Texte singulier que celui-ci, "La clause sociale et l’articulation des régimes internationaux du commerce et du travail", in Recherches internationales, n°88, octobre-décembre 2010 (pp. 199-216).

Il est dû à Sylvain Zini, doctorant et chargé de cours à l’université du Québec à Montréal et développe, par une approche institutionnaliste et sur la base de matériaux "diplomatiques" (traités, etc.) et socio-politiques, des thèses qui ne manquent pas d’étonner. On trouvera ici, d’abord, les secondes avec, ensuite, les matériaux qui forment l’ossature du raisonnement.

Les thèses

■ La clause sociale est le "fruit d’un paradigme cherchant à concilier ouverture et progrès social" en cherchant à "assurer que la libéralisation du commerce international ne se traduise pas par une harmonisation des normes de travail vers le bas."
■ Le moteur quasi exclusif des politiques de clause sociale sont les Etats-Unis qui, "dès le début des années 1980", utilisent à cet effet leur position "privilégiée" d’ "acteur hégémonique" (L’Europe est à peine mentionnée, idem pour l’OIT, et les positions du bloc socialiste sont entièrement absentes de l’analyse.)
■ A l’inverse, les pays en développement font bloc contre : "Si cette résistance n’existait pas, il n’y aurait pas débat, et la clause sociale ferait déjà partie des règles de l’OMC."
■ "Avant d’être l’apanage de groupes sociaux, la clause sociale est le fruit d’une vision du monde, le libéralisme réformiste."
■ Plus pragmatiquement, relève Zini, "Les pays dotés de normes du travail élevées sont désavantagées par un système d’ouverture commerciale non encadrée."
■ Cependant, si les pays en développement "profitent à court terme de cette situation à travers un avantage compétitif", "à long terme, tout le monde est perdant puisque le pays développé risque de s’acheminer vers un moins-disant social, et le pays en développement risque de perpétuer de faibles normes sociales, ce qui n’est guère plus souhaitable." (Demeurent totalement absent du tableau (1) la question du caractère bénéfique, de progrès, de l’ouverture commerciale libre-échangiste [elle fait consensus, point à la ligne], (2) la contradiction d’une nation, les Etats-Unis, qui a choisi des normes très faibles chez elle tout en en souhaitant des fortes dans le Tiers-monde et, last but not least, (3) ce qui a conduit à sélectionner certaines de ces normes, plutôt que d’autres, comme "fondamentales".)
■ L’argument (en faveur de la clause sociale) est donc, chez Zini, d’un bout à l’autre économique et, à le suivre, il en va exactement de même chez ses adversaires.

Les matériaux

1. Les courants idéologiques Dans son cadrage introductif des thèses en présence, Zini distingue les courants

(1) qui tendent à considérer la clause sociale comme "un nouveau genre de protectionnisme" fouetté par des "raisons électoralistes, dans une époque où les pertes d’emplois liées à la globalisation sont importantes", scénario où, "étant donné la priorité de conserver un régime commercial ouvert, les clauses sociales seraient un moindre mal à concéder pour éviter un repli véritablement protectionniste. Plutôt que de faire craquer le consensus autour du libre-échange, il faudrait laisser aux protectionnistes une clause sociale, aussi peu contraignante que possible"
(2) dont "l’option théorique, défendue par les néolibéraux et les tiers-mondistes", consiste à considérer la clause sociale comme un instrument visant "à affaiblir les avantages comparatifs des pays en développement", une politique où la clause sociale apparaît comme "une forme d’impérialisme juridique et culturel." Pour ce courant, "le droit international en général, et celui du travail en particulier, serait le droit favorable aux plus forts, et il serait d’inspiration occidentale."
(3) Il y a naturellement un troisième courant, que Zini ne qualifie pas comme tel, faute de recul, étant lui-même partie prenante de ce courant. Il décrit en effet la clause sociale comme le "produit du libéralisme réformiste", qu’il présente comme une des "variantes" du libéralisme, lui-même défini comme "un courant de pensée à la fois majeur et pluriel". Le libéralisme réformiste, dit-il, "adhère aux principes du libéralisme politique et économique", il est "volontariste" et "mélioriste", en ce sens qu’il veut, par l’action humaine, améliorer le cours de l’histoire, le diriger vers un monde meilleur – en s’appuyant sur deux postulats : "la démocratie est une forme de gouvernement la meilleure en tout temps" et, secundo, "elle est complémentaire avec le marché." Pour le libéralisme économique, "le libre-échange est la meilleure politique commerciale", mais elle doit être encadrée (régulée), entre autres par le biais des "droits fondamentaux" (lire ici : des clauses sociales).

2. Le lien économique entre normes sociales et commerce

Il développe ensuite l’interaction entre droit du travail et commerce international. Ainsi, citant Clotilde Granger (Normes de travail fondamentales et échanges Sud-Nord" in Economie internationale, n°101, 2005) : "Si la violation des normes fondamentales du travail n’avait aucune influence sur l’échange, (...) normes de travail et commerce seraient des questions séparées relevant d’institutions spécifiques." Les rares études quantitatives réalisées confirment que le non respect des normes de travail "ont un effet sur les flux commerciaux." A savoir : "une diminution du niveau d’application de ces normes aura tendance à accroître les flux de commerce." Mais, argumente Zini, ce gain en liberté des échanges " peut se traduire par une désintégration sociale." D’où le caractère positif de la clause sociale.

3. Chronologie

3.1 1945-1970

Historiquement, Zini fait remonter – (ndlr. filiation qui paraît un peu forcée...) – les origines de la clause sociale au New Deal (USA) avec, en 1934, la mise en place d’une loi commerciale autorisant le gouvernement à négocier des accords bilatéraux. Il y en aura 29 entre 1934 et 1947, date à laquelle apparaît l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt) suivi, ensuite, par la tentative de création d’une Organisation internationale du commerce (OIC), entre 1945 et 1950. Lisons Zini dans le texte : "lorsque les Etats-Unis ont élaboré l’ordre international succédant la Seconde Guerre mondiale, la clause sociale était à l’ordre du jour. Ce volet était clairement établi au sein de l’OIC. Selon l’article 7 de la Charte de La Havane, l’ouverture commerciale devait s’accompagner d’un respect des normes internationales du travail et des codes du travail nationaux, tout cela sous la surveillance de l’OIC et de l’OIT." Le projet OIC va cependant capoter et ce sera le Gatt qui deviendra le "cadre formel des négociations commerciales internationales, et ce, sans aucun lien avec l’OIT. L’absence du clause sociale durant cette période, dit Zini, "reflétait l’absence d’intérêt qu’elle suscitait". Cela va changer dans les années 70 : "la mondialisation (va) créer des conditions favorables à l’émergence de la clause sociale."

3.2 1970-2006

La deuxième période est marquée, aux USA, par la disparition progressive du "large consensus" favorable à la politique commerciale américaine, car les citoyens américains se sentent touchés par l’ouverture croissante de leur économie (régression des salaires, détérioration de l’emploi, etc.). "C’est dans ce contexte des années 1980 que des mouvements sociaux firent campagne en faveur de la clause sociale." Et le gouvernement US de suivre, il accepte "d’intégrer la clause sociale dans ses négociations", basculement que Zini explique en affirmant que la clause sociale "est le reflet de la vision réformiste du libéralisme, arrimant commerce et progrès social." Comment cette clause "est devenue un élément aussi important dans la stratégie commerciale des Etats-Unis", voilà ce que Zini va ensuite chercher à expliquer. Cela donne ceci, chronologiquement :

(La guerre de positions)

1. "Depuis 1983, les différentes administrations américaines ont mis en place des clauses sociales". Elle sera proposée "à toutes les échelles de négociation, à commencer par le niveau multilatéral".
2. A partir de 1986, "les Etats-Unis, avec le soutien de l’Europe, vont tenter d’inclure un clause sociale au sein du Gatt, puis de l’OMC. Durant l’Urugay Round, le gouvernement américain a insisté pour lier travail et commerce au sein du Gatt."
3. "Lors de la création de l’OMC, il a tenté en vain de faire inscrire un chapitre sur le travail dans le texte constitutif de l’organisation."
4. "Ensuite, de 1994 à 1999, les Etats-Unis reviendront régulièrement à la charge pour établir un groupe de travail à l’OMC sur la faisabilité d’une clause sociale et ses potentiels effets."
5. Las ! "Les pays en développement ont fait bloc pour repousser l’introduction de toute clause sociale au Gatt, puis à l’OMC."
6. "Dès lors, les Etats-Unis, insatisfaits de la situation, ont élaboré des clauses sociales unilatérales, régionales, puis bilatérales."
7. "N’arrivant pas à amender le régime par le haut, les Etats-Unis cherchent à le modifier par le bas."
8. Ce seront le CBERA pour les Caraïbes (1983), puis le SGP (1984), puis l’ATPA pour les pays andins (1991), puis l’AGOA pour l’Afrique (2000) – les violations des clauses sociales incluses conduisant rarement à des sanctions mais, souligne Zini, le simple "effet de menace a permis à certains pays d’ajuster leur comportement" (sic). La clause se retrouve également dans l’Alena (1993).
9. Ces coups de forces régionaux ne produisant guère d’effets ("après plusieurs vaines tentatives de perpétuer la stratégie régionale dans les Amériques"), les USA vont se replier sur le bilatéral, dont celui avec la Jordanie (2000-2001), que Zini met en exergue...
10. En 2006, changement de donne, lors des élections de mi-mandat : la majorité démocrate va se prévaloir d’une "nouvelle politique commerciale pour l’Amérique" pour réécrire les chapitres sur le travail dans le but de les introduire dans les accords (révisés) avec le Pérou, la Colombie, le Panama et la Corée du Sud. Seul celui avec le Pérou sera ratifié.
11. Nota bene : petit changement dans l’appareil normatif, ce ne sont plus les Droits du travailleur internationalement reconnus (incluant salaire minimum, limitation du temps de travail et normes décentes de sécurité et de santé), promu depuis les années 1980 par les USA, mais les "droits fondamentaux du travail" tels que définis par l’OIT.

3.3 2006 & suivantes : conclusions

Zini conclut cette rétrospective sur un constat d’échec, qu’il tente d’expliquer ainsi : aucune clause sociale multilatérale n’a pu être mise en place, nota bene "malgré les pression américaines pour ce faire", parce que, bien que les USA restent "hégémoniques", sa position s’est affaiblie depuis la Seconde Guerre mondiale. Malgré cela, les USA "cherchent à rester les plus entreprenants" (en concluant des accords régionaux et bilatéraux). Cette stratégie a, estime Zini, trois objectifs : - (1) "chercher une formule institutionnelle efficace", (2) "créer un réseau d’alliés permettant de peser à l’échelon multilatéral" et (3) "recouvrir la maîtrise de l’agenda économique international, avec, entre autres priorités, l’inclusion de la clause sociale." (Nous soulignons.)

Les résultats, selon Zini, seraient encourageants pour les deux premiers objectifs – "mais ils sont plus ambivalents pour le troisième." Si la version 2008 de la clause sociale a fait un bond avant, analyse-t-il, c’est en raison du "retour de majorité démocrate au Congrès".
Les progrès enregistrés ne doivent cependant pas masquer le fait que "le blocage de l’agenda commercial multilatéral laisse peu d’espoir de voir apparaître une nouvelle forme de clause sociale, sujet toujours épineux s’il en est."
Zini juge cependant significatif que "deux récents rapports de l’OMC, dont un, conjointement avec l’OIT, portait sur le lien entre commerce, travail et emploi, ce qui semblait peu évident, il y a encore dix ans."

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