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"MES, où est la bourde historique ?"

3 mars 2012

Un article d’ Henri Sterdyniak repris sur le site des "Economistes attérrés" en réponse à l’article dans le Monde d’Alain Lipietz, Jean-paul Besset et Daniel Cohn-Bendit

La crise de 2007-2012 a mis en évidence les dangers de la construction européenne actuelle dominée par le néo-libéralisme. Début 2012, les classes dirigeantes comme la technocratie européenne sont incapables de sortir de la crise ; pire, elles utilisent celle-ci pour parvenir à leurs fins de toujours : réduire les dépenses publiques, affaiblir le modèle social européen et le droit du travail, priver les peuples de toute voix au chapitre pour imposer une gouvernance technocratique de l’Europe.

Le bilan est catastrophique. De l’aveu même de la Commission, la zone euro devrait connaître une baisse de son PIB en 2012 (de 0,3%). Début 2012, le taux de chômage de la zone atteint 10,4%. La crise s’est traduite par une perte de l’ordre de 9% du PIB, mais la Commission impose des politiques d’austérité, qui enfoncent l’Europe dans une récession sans fin. Alors que la crise est due à l’aveuglement et à l’avidité des marchés financiers, ce sont les dépenses publiques et les dépenses sociales qui sont frappées.

La Commission, la BCE et les Etats membres laissent les marchés financiers spéculer contre des dettes publiques qu’ils affirment garantir. Ils les laissent imposer des taux d’intérêt exorbitants à l’Italie et à l’Espagne, Trois des pays membres voient leurs politiques économiques décidées directement par la Troïka (Commission, BCE et FMI).

La Commission et les dirigeants des Etats membres veulent aujourd’hui imposer aux peuples, sans les consulter, deux traités, qui fixeraient dans le marbre ces politiques économiquement suicidaires.

Le « Pacte budgétaire », le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et budgétaire (TSCG), impose à chaque pays d’inclure dans sa Constitution une règle limitant le déficit public structurel à 0,5% du PIB, et de mettre en place un mécanisme de correction automatique, si ce plafond n’est pas respecté. Les pays devront réduire leur déficit, selon un calendrier proposé par la Commission. Les pays soumis à une Procédure de Déficit Excessif (pratiquement tous aujourd’hui) devront soumettre leurs budgets et des programmes de réformes structurelles à la Commission et au Conseil, qui donneront leur avis et surveilleront l’exécution du budget. Une majorité qualifiée des pays de la zone euro sera nécessaire pour s’opposer à des sanctions décidées par la Commission.

Ce projet est absurde du point de vue économique. Il impose une norme arbitraire de déficit public ; il ne permet pas de faire financer les investissements publics par de l’endettement ; il interdit toute politique discrétionnaire pour soutenir l’activité. Les pays membres vont perdre toute autonomie budgétaire et devront soumettre leur politique au visa de la Commission.

Le Mécanisme Européen de Stabilité introduit certes une certaine solidarité entre les pays membres, mais celle-ci est limitée et très chèrement payée : - Pour participer au MES, les pays devront avoir adhéré au Pacte budgétaire et l’avoir respecté. - L’aide sera conditionnelle : un pays pour être aidé devra s’engager à respecter un plan d’ajustement drastique imposé par la Commission, la BCE et le FMI. L’exemple grec montre bien que ce type de plan ne permet pas de sortir de la crise. - Le MES stipule explicitement que les pays devront se financer sur les marchés financiers et, en même temps, que les créanciers privés pourront être mis à contribution en cas de difficultés.

La créance du MES sera prioritaire par rapport aux créances privées. Les émissions d’obligations publiques devraient comporter une Clause d’Action Collective, c’est-à-dire que, en cas d’insolvabilité du pays émetteur, proclamée par la Commission et le FMI, le pays devra négocier avec ses créanciers une modification des conditions de paiement, l’accord s’appliquant à tous si une majorité qualifiée de créanciers l’acceptent. Les dettes publiques des pays de la zone euro vont devenir des actifs risqués, soumis en permanence à l’appréciation et à la spéculation des marchés financiers, comme l’est la dette des pays émergents. Les pays de la zone seront donc condamnés à des concours de vertu pour apparaître aussi sages que l’Allemagne aux yeux des marchés. Les dettes publiques deviendront un facteur permanent de risque puisque les États seront à la merci des esprits animaux des marchés financiers. Or ceux-ci n’ont aucune compétence macroéconomique. Ils imposent des politiques d’austérité en période de récession, puis se plaignent du manque de croissance… Ils favorisent les réformes libérales comme la réduction de la protection sociale ou celle du nombre de fonctionnaires, ou la libéralisation du marché du travail. Les taux d’intérêt sur les dettes publiques seront plus élevés, plus volatils et moins contrôlables. Fallait-il construire la zone euro pour en arriver là ?

Pourtant, l’évolution récente montre bien que la zone euro ne peut sortir de la crise par l’accumulation de plans d’austérité visant à rassurer les marchés financiers. Une stratégie résolue consisterait au contraire à : - Faire financer les dettes publiques par l’épargne des ménages, hors des marchés financiers. - Faire garantir les dettes publiques par la BCE, de sorte que tous les pays puissent se financer à 10 ans à 2%, le taux sans risque. Si nécessaire, la faire intervenir pour acheter des titres publics pour maintenir un bas taux d’intérêt, comme le font actuellement les banques centrales des Etats-Unis et du Royaume-Uni. - Renégocier les taux excessifs auxquels certains pays ont dû s’endetter depuis 2009. Remettre en cause la prise en charge par les Etats des dettes bancaires. Ne pas rembourser les actifs accumulés par l’évasion fiscale. - Entreprendre une vaste réforme fiscale pour faire payer le secteur financier, les transactions financières, les revenus exorbitants, les entreprises multinationales, les patrimoines gonflés par les bulles financières ou immobilières, pour interdire aux banques et entreprises européennes d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux. - Mettre fin aux politiques d’austérité et, au contraire, relancer l’activité en particulier par des banques publiques de développement durable, qui financeraient la transition écologique, grâce à l’épargne des ménages.

Aucun de ces points ne figure dans la stratégie actuelle de l’UE. Malgré l’échec total de celle-ci, le journal Le Monde fait la leçon à la gauche française. Ainsi, l’éditorial du 10 février s’intitule : « Pourquoi toucher au pacte budgétaire ? » et critique François Hollande pour avoir osé demander de rouvrir la négociation. Mais la réponse à la question posée par Le Monde est évidente. « Parce ce que ce Pacte est un contresens complet ». Contrairement à ce que prétend le Monde, le Pacte n’organise pas une « gouvernance économique commune », puisque, au contraire, il insère les politiques budgétaires dans des règles rigides, qui ne tiennent pas compte de la situation économique. Où sont « l’amélioration récente de la situation » et « le fragile climat de confiance retrouvé au sein de la zone » que voit Le Monde quand, tous les trimestres, éclate un nouveau psychodrame sur la Grèce (et bientôt sur le Portugal), que l’Italie et l’Espagne subissent des taux exorbitants, quand le PIB de la zone diminue ? L’éditorial du 17 février nous apprend que « La crise a montré les défauts de fabrication de la monnaie unique. Pour y remédier, les Européens ont mis en place un pacte budgétaire », « la coordination budgétaire est nécessaire au bon fonctionnement de l’euro ». Certes, mais le Pacte de Stabilité était déjà en place, qui, comme le nouveau Pacte Budgétaire, se contentait d’imposer des limites arbitraires aux déficits budgétaires. Ni le Pacte de Stabilité, ni le Pacte Budgétaire ne sont des procédures de coordination budgétaire ou économique, visant à impulser la croissance en Europe. L’éditorial avoue « L’Europe est impopulaire ». Mais il propose de lui donner plus de pouvoir en interdisant de remettre en cause la manière dont elle exerce ses pouvoirs.

Dans le Monde du 25 février, Jean-Paul Besset, Daniel Cohn-Bendit et Alain Lipietz reprochent aux députés de la gauche française de ne pas avoir approuvé le MES. C’est, selon eux, « une bourde historique ». Pour cela, ils doivent masquer le contenu du MES. Ils prétendent qu’il n’y a aucun lien entre le MES et le Pacte budgétaire, bien qu’il soit explicitement écrit dans le MES : « Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné par la ratification du TSCG par l’Etat concerné et par le respect, à l’expiration de la période de transition prévue par l’article 3, des exigences de cet article », c’est-à-dire le respect de l’équilibre budgétaire : le MES n’aidera que les pays qui n’ont pas besoin d’être aidés. Ils prétendent que le MES laisse ouvert le type de conditionnalité qui sera imposé au pays aidé. Pourtant, le Traité précise bien que celui-ci sera strict, que le pays aidé devra demander une assistance au FMI, qui apportera « sa participation active sur le plan technique ». Les Grecs, les Portugais, les Irlandais savent ce que cela signifie. Besset, Cohn-Bendit et Lipietz prétendent que le MES n’est pas un organisme technocratique, mais un organe politique dépendant des Etats. En fait, la conditionnalité sera négociée par la Commission, la BCE et le FMI, et être compatible avec les recommandations de la Commission. Ce sont ces trois organismes qui vérifieront les respects des obligations du pays aidé, avec, nul n’en doute, la souplesse dont ils ont fait preuve pour la Grèce. Le MES pourra certes intervenir sur le marché primaire ou secondaire de la dette publique d’un pays, mais uniquement si celui-ci s’engage dans un plan d’ajustement contrôlé par la Troïka. Peut-on écrire « Le MES intimidera la spéculation » ? alors que l’annonce de sa création a fait redoubler la spéculation, les marchés constatant que l’Europe renonçait à prendre des mesures fortes pour briser la spéculation : la garantie inconditionnelle par la BCE, les euro-obligations, le financement des déficits en dehors des marchés financiers. Le MES souffre du même défaut que le FESF : le montant de son engagement maximum est précisé (500 milliards d’euros), ce qui encourage la spéculation contre l’Espagne et l’Italie que le MES ne pourrait défendre. Peut-on écrire « le MES évitera à la Grèce l’horreur économique subie par l’Argentine de 2002 à 2005 » ? L’Argentine a certes subi une perte de PIB de 15% en 2001-2002, mais elle s’est ensuite fortement redressée et a connu une croissance de 8,5% l’an de 2003 à 2007. Le PIB de la Grèce devrait être, en 2012, 18 % en dessous de son niveau de 2007 et aucune amélioration n’est en vue. L’Argentine s’est en mieux sortie que la Grèce.

Non, l’erreur historique n’est pas celle des 44 députés qui ont voté contre le MES. C’est celle de certains partisans de l’Europe qui veulent tout sacrifier à la construction européenne, sans voir que celle-ci, telle qu’elle est actuellement dirigée, mène à la catastrophe financière, économique, sociale et écologique.

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