Rencontres Sociales

POUR DES INITIATIVES D’ESS EN MILIEU CARCERAL

"La prison est un loisir de riche"

13 septembre 2012

Une réflexion d’Hervé Bompard Eidelman, promoteur du projet ACJR

Un peu provoc’ comme titre, c’est vrai. Bon, alors je m’en explique. Avant, la prison était un lieu où on enfermait les condamnés et les prévenus. Maintenant, c’est devenu un lieu où on enferme aussi des clients, en particulier depuis que des sociétés privées sont venues s’installer dedans pour les gérer, faire la ’’gamelle’’ (difficile d’appeler ça des repas), et, naturellement, vendre très cher tout ce que les détenus-clients peuvent désirer, sauf des bazookas, des haches et du champagne et autres marchandises du même genre, et s’occuper de la maintenance, des réparations. Avant, en prison, c’était l’administration qui s’occupait de tout ça, les repas, les achats, l’entretien. Les repas n’étaient pas terribles, mais ils vous rappelaient la cantine, à l’école. Maintenant, avec les sociétés privées, ils vous rappellent plutôt Louis de Funès dans l’usine Tricatel. Et savez-vous pourquoi ? Parce que l’administration ne prenait pas de pourcentage sur chaque repas pour remplir de bonheur et les poches des actionnaires que ça ne dérangent pas le moins du monde de gagner de l’argent en dormant sur le matelas de la misère humaine. C’est sympa, la bourse. Et tellement moral. La qualité et la variété des repas étaient supérieures et il y avait plus souvent des repas de fête, histoire de vous rappeler que vous étiez un être humain avec de la dignité à l’intérieur, pas un croisement entre un humain et un animal qu’on appelle aussi « humanimal ».
Quand l’administration s’occupait des achats, elle prenait un pourcentage dessus, environ 15% pour les frais, et tout le monde était content. Ça faisait un peu le petit magasin où on trouve de tout, et si vous tombiez sur un surveillant sympa, ce qui est moins rare qu’on le raconte bêtement, il vous arrangeait toujours le coup s’il vous manquait quelque chose. C’était la prison, mais c’était humain.

Maintenant, avec les sociétés privées, question tarifs, on dirait une petite supérette en plein centre de Cannes, un dimanche 15 août ou, pour ceux qui connaissent, chez Fauchon, mais juste pour les prix. Les sociétés privées ont très vite compris le bénéfice qu’elles pouvaient tirer de la situation, aux deux sens du terme : l’avantage d’être en situation de monopole dans chaque prison, et les profits qu’elles pouvaient réaliser grâce à ce monopole. Les prix se sont mis à grimper comme sur le col du Tourmalet ou du Ventoux, et les personnes détenues ont bien été obligées de suivre : c’est ça, ou rien. Vous allez me dire qu’il suffit de déposer une plainte et que le client aura gain de cause. C’est mal connaître le lobby des grosses sociétés qui ont mis la main sur les prisons. Des plaintes ont bien été déposées et le Conseil de la Concurrence saisi, mais circulez, tout est normal, y’a rien à voir, réintégrez vos cellules. Vous me direz alors que le Chef d’établissement pouvait le faire, lui, pour protéger les détenus les plus fragiles, les moins instruits contre ces pratiques. Vous êtes bien naïfs !

On a complètement oublié dans les textes de lois de donner des prérogatives de ce genre aux Chefs d’établissement. Avouez que c’est ballot. Ce qui a eu pour conséquence de rendre encore plus heureux les actionnaires, ce qui n’est déjà pas si mal. Sauf que cela a eu aussi pour autre conséquence de développer les trafics, et surtout le racket parce que les Surveillants n’ont plus de droit de regard sur les comptes ni sur les achats des détenus. Résultat : un petit pépé de 75 ans qui n’a jamais fumé de sa vie achète deux cartouches de cigarettes par mois en échange de sa tranquillité et personne n’y voit rien. Idem pour la personne moins âgée mais un peu dépressive, etc... Quand on sait qu’une personne détenue dépense en moyenne 6 euros par jour, soit 180 euros par mois en achats divers, qu’on multiplie cela par environ 130 000 personnes qui passent par la case prison chaque année, on comprend l’empressement de ces sociétés privées à défendre leur os. Pour l’entretien, c’est la même chose, sauf que c’est le diamant sur la Rolex, pour changer un peu de l’éternel gâteau et de la cerise. Tout est facturé à l’État, mes Chers concitoyens. Donc, les sociétés privées n’ont aucun intérêt à ce que les personnes détenues ne cassent rien.

J’ai eu vent qu’un changement d’une vitre qui valait 30 euros était refacturée 150 euros à l’État. Et puis, comme il s’agit de très grosses sociétés qui sont toutes plus ou moins imbriquées les unes dans les autres par l’intermédiaire de holdings , elles n’ont besoin de personne pour faire le boulot. C’est aussi pour cette raison que les petites entreprises locales ne parviennent qu’exceptionnellement à répondre à des appels d’offre. Ils sont rudement bien organisés, les riches. Enfin, les emplois et la formation pour les personnes détenues. Très peu travaillent, c’est comme dehors, et les indemnités sont faibles. Un Auxiliaire de service, donc payé par la Régie de l’administration, gagne en moyenne 220 euros mensuels, moins les cotisations et le pourcentage prélevé pour les parties civiles. Pour les Ateliers de production, c’est plus complexes. Certains peuvent gagner 200 euros mensuels, d’autres 700, tout dépend le travail, cela pour 30 heures hebdomadaires. Les formations sont rémunérées 2,26 euros de l’heure plafonnés à 220 heures. Ce sont aussi les sociétés privées qui ont en charge les formations et les Ateliers, et pour cela, elles perçoivent aussi des subventions de l’État, au titre de la formation professionnelle, etc. En plus du travail réalisé et qui rapporte. Et souvenez-vous des holdings citées plus haut : la personne détenue perçoit ses indemnités de la société et fait ses achats à une autre société mais qui appartient en réalité au même groupe. Ils sont vraiment malin, ces capitalistes. L’argent ne sort même pas de la maison.
Bref, un système capitaliste bien rôdé, qui vous coûte très cher, Cher Lecteurs et -trices, qui exploite les personnes détenues sans aucun bénéfice pour elles. En effet, les sociétés privées du système capitaliste ne sont pas là pour faire du social, mais de l’argent, ce qui est normal, c’est leur vocation. Autrement dit, même lorsqu’elles font du social, elles font de l’argent. Exemple : les crèches ou les jardins d’enfants privés. En « offrant » ce service à leurs employé-e-s, elles leur permet d’être à l’heure et d’être beaucoup moins absent-e-s. Dès l’âge bébé, on leur apprend l’entreprise....

Il existe un autre système que tu connais bien, Citoyenne, et toi aussi, Citoyen, parce que tu l’utilises sans doute : la coopérative. La coopérative de l’école est un bon exemple. Elle peut faire des bénéfices (fêtes, kermesses...), mais tiens-toi bien parce que tu vas entrer dans la cinquième dimension : non seulement ces bénéfices ne sont pas redistribués à des actionnaires (en langue coopérative, on dit sociétaires, ce qui fait plus chic, je trouve), mais réinvestis à l’intérieur de la coopérative pour encore l’améliorer, rendre encore plus de services. Mais attends, ce n’est pas tout : en plus, fini l’individualisme, l’égoïsme et tous ces vilains mots ultralibéralistes : on parle de coopérateurs, de solidarité, de mise en commun (le mutualisme), parce qu’ensemble, on est plus forts que si on est plus nombreux mais chacun dans son coin.

Voilà le système que nous proposons pour les prisons. C’est un système réellement gagnant à la puissance 5, pour l’État, les entreprises locales, les élus, les personnes détenues, les Personnels.

La création d’un réseau de coopératives au sein des établissements permettra un lissage et une uniformisation des prix pour les achats des personnes détenues, une très nette amélioration des repas, ce qui participera à un meilleur état de leur santé, un retour de la surveillance par les Personnels par leur participation au Conseil d’administration dans chaque établissement. Cela permettra aux entreprises du bassin local de bénéficier des appels d’offre, ce qui ouvrira aussi des possibilités pour la réinsertion professionnelle des personnes détenues. De plus, on pourra améliorer le sort des détenus en investissant dans des formations, des emplois de meilleure qualité, des activités socioculturelles et citoyennes. Enfin on pourra organiser une péréquation entre les grands établissements et les plus petits pour des achats qu’ils n’auraient pu réaliser sans cela.

Mais le plus beau reste à venir, attends. Comme nous l’avons dit, tous les bénéfices doivent être réinvestis. Or, la plus grande faiblesse du système pénitentiaire actuellement constatée se situe au niveau de la prise en charge, du suivi, de l’accompagnement ou de l’encadrement des sortants de prison et des familles jusqu’à l’autonomisation ou le placement thérapeutique. C’est pourquoi, le réseau des coopératives créera une plateforme interinstitutionnelle, interassociative et interpartenariale qui viendra en appui de la mission des Travailleurs sociaux, une base de données nationale qui leurs permettra d’organiser au mieux et de manière personnalisée la réinsertion et la réadaptation sociale et professionnelle des sortants de prison et des familles. Un véritable outil de gestion moderne et dynamique au service de la prévention, de la sécurité, du droit à la deuxième chance et du droit à l’oubli. Enfin, chaque personne détenue intéressée pourra suivre une formation sur les coopératives si l’idée forcément géniale lui prenait, à sa libération, d’en créer, une.
- Franchement, je ne vois pas ce qui vous fait encore hésiter.

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