Rencontres Sociales

Tribune

« Formes de propriété et action collective : les réponses de l’économie sociale aux nouvelles formes d’appropriation » - RMB

Intervention aux RMB

15 novembre 2011 - Frédéric Sultan

La lutte contre l’accaparement des ressources est une vocation historique de l’ESS. L’un des premiers objets de l’ESS n’est-il pas de permettre aux communautés de se saisir des ressources nécessaires pour entreprendre une action, pour développer ou jouir d’un service, d’un produit et de décider de leur gestion sous forme collective ? ...

... La poussée du mouvement des « enclosures » (accaparement des ressources) est sérieuse sur des terrains qui jusqu’ici étaient encore épargnés. Mais les possibilités nouvelles offertes par la conjonction de l’émergence de technologies numériques et de nouvelles formes de participation populaire, de collaboration à grande échelle ouvre de nouvelles voies possibles.

Quels sont ces défis et quelles sont les conditions de réussite de ce mouvement dans le contexte du Sommet de Rio +20 ?

Un mot de l’offensive d’accaparement des ressources. Les exemples très concrets ne manquent pas dans l’actualité : terres arables dans les pays du sud, connaissances ancestrales, les certificats d’obtention végétal pour les semences, le prolongement de la durée des droits de propriété intellectuelle en Europe, il y a seulement quelques semaines.

Les acteurs de cet accaparement tentent par tous les moyens de consolider leurs avantages. Ils le font en particulier dans la Loi. Voyez HADOPI et LOOPSI en France, ou la tentative au niveau international, de contourner la démocratie, avec ACTA, un accord commercial anti contrefaçon, qui en pratique permettrait aux industries de faire elles mêmes la police sur Internet ou d’imposer aux gouvernement l’interdiction de la production de médicaments génériques.

Face à ce mouvement, il y a des forces populaires qui prennent l’initiative, agissent, s’organisent, développent des initiatives gérées sous forme de biens communs - entendons par là à la fois ressources et mode d’organisation collectif - telles que l’open source, l’open access, l’open knowledge, les mouvements pour le Do it yourself, .... Ces initiatives sont l’ESS. Mais, pour autant n’oublions pas que les formes les plus connues de l’ESS contemporaine s’insèrent dans une panoplie de pratiques bien plus anciennes de gestion collectives des ressources. Ces initiatives ont en commun d’être basées sur le partage et l’action collective, et d’être des formes de propriétés basées sur la participation démocratique.

Je vais illustrer mon propos avec 3 exemples :

Premier exemple : Open Ecology www.opensourceecology.org.
De quoi s’agit-il ? : mettre à disposition des plans de machines utiles pour les agriculteurs. Bien sur, ce n’est peut-être pas le plan de cette machine dont l’agriculteur en Asie ou en Afrique a besoin. Mais ces ressources sont modifiables, comme le logiciel libre. On inscrit dans la propriété des qualités qui permettent une ouverture, un partage, une modification amélioration et surtout la viralité de ces qualités en obligeant à replacer le résultat sous la même licence.

Deuxième exemple : Enercoop www.enercoop.fr, le réseau coopératif de production et de distribution d’énergie.
Une coopérative qui produit et distribue de l’énergie. Elle met en place un réseau européen de producteurs et distributeurs. De quoi s’agit-il exactement ? un réseau d’entrepreneurs, oui, mais ce réseau c’est aussi celui des personnes, des habitants dont chaque maison contribue à produire de l’énergie redistribuée en réseau.
Ce qui motive la mise en place de ce réseau, c’est le besoin de reprendre possession du territoire à travers la recherche des meilleures solutions énergétiques. On inscrit dans les formes de la propriété des qualités qui vont façonner et interagir avec le collectif.

Troisième exemple : Goteo www.goteo.org : une initiative de crowdfunding (recherche de fonds dans le public) lancée ces derniers jours en Espagne
Une plateforme pour permettre à chacun de contribuer financièrement à des projets de développement des biens communs. En réalisant ce projet, Enrike Senabre, et son équipe sont amenés à travailler sur des questions comme :
à qui appartiennent les projets financés ?
quelle place pour l’État (et donc les services publics) dans une économie qui serait basée sur ces formes de contributions volontaires ?
quelle collaboration entre donneurs et receveurs ? et entre les donneurs ?
comment se conjuguent les formes de contributions financières et non financières ?

Dans cette initiative, les formes de propriété sont intimement liées aux formes d’action collectives et aux collectifs permis.

Un premier constat.

De toutes ces initiatives, certaines ne sont plus des "petites" expériences. Ce sont des initiatives qui marchent et pour lesquelles il faut maintenant passer à l’échelle. C’est bien de faire la preuve que ça marche, ensuite il faut aussi être en mesure d’avoir un poids significatif à l’échelle de l’économie locale ou globale.

A ce sujet, je voudrais attirer votre attention sur un point : Pour le passage à l’échelle, deux possibilités s’offrent à nous :
- soit en essayant de s’implanter ailleurs, par la conquête de territoire : création d’empires
- soit en rejoignant d’autres initiatives du même type parce qu’elles partagent les mêmes valeurs. création des alliances, qui peuvent prendre des formes différentes, disons, non intrusives.

Nous rejoignons là un point comparable à celui soulevé par Lucien Favreau expliquant, lors de sa présentation du rapport des RMB pour le Sommet de Rio+20, que l’ESS n’est pas génétiquement verte. Elle n’est pas non plus génétiquement socialement responsable et éthique.

Comment intégrer dans nos critères, le respect des droits des populations à décider elles-mêmes des services qu’elles souhaitent voir développer ?
Sur ce point, les Rencontres du Mont Blanc ont sûrement un rôle à jouer et des propositions à élaborer.

L’ESS n’a pas intérêt à se tirer une balle dans le pied et nous devrions être attentif au respect d’une véritable participation citoyenne dans les initiatives qui sont mises en place pour éviter le simple déploiement de services par l’industrie émergente des designers de services - ces nouveaux architectes - qui, sous prétexte de nous redessiner la ville (et la vie) risquent fort de reproduire dans l’univers numérique les erreurs de leurs prédécesseurs lorsqu’ils construisirent les cités de nos banlieues.

Je n’ai pas envie d’un google de l’ESS, mais bien d’une myriade d’initiatives authentiquement locales et démocratiques qui peuvent s’organiser pour peser à l’échelle du monde.

Un deuxième constat.

Les conditions d’une reconnaissance du droit à la diversité de ces formes de propriété et de gestion participative des ressources sont en grande partie à créer. Personne ne le fera à la place de l’ESS car personne n’est plus concerné que l’ESS et personne ne pèse le poids de l’ESS.

Je vois 3 conditions

- Il est nécessaire de s’inscrire dans les pratiques diplomatiques onusiennes d’aujourd’hui :
Les propositions de l’Economie sociale et des mouvements sociaux pour la préservation et le renforcement des formes de gestion en biens communs doivent se fonder sur la défense des droits fondamentaux, tels que par exemple l’accès à l’eau, à la communication, aux semences, aux médicaments, à l’éducation et la culture et revendiquent un accès équitable pour tous à ces droits

Sur cette base, le cadre de l’ONU et de ses agences permet de se donner pour horizon la mise en place de mécanismes d’engagement et de contrôle des partie prenantes pour créer un environnement favorable aux formes de gestion biens communs, ainsi que des espaces de réception et d’examen de plaintes qui peuvent être gérés au sein de l’ONU ou délégués à l’échelle nationale.

La mise en place de tels mécanismes est longue et complexe et rencontre souvent des obstacles politiques. En pratique, il est nécessaire de définir progressivement les normes, règles et comportements qui viendront s’inscrire dans ces mécanismes pour rendre ces droits opposables. Pour cela il serait judicieux de s’inspirer des mécanismes développés par les organismes internationaux (ONU, OCDE, OIT) pour faire appliquer les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) ou les normes de la RSE.

L’objectif à Rio n’est pas de revenir avec une belle déclaration ou réglementation, mais de créer les conditions pour mettre en place un mécanisme permanent de concertation des parties prenantes qui permettra de construire ces mécanismes. Il s’agit donc de bien comprendre comment fonctionnent le processus de production du droit international pour se projeter de manière dynamique dans ces processus, définir les objectifs à long terme.

- Deuxième condition : la convergence de l’Economie sociale et des mouvements sociaux à RIO+20 est nécessaire pour définir ensemble des stratégies pour la défenses des droits à une diversité des formes de gestion collectives en biens communs.

Dans différents pays, l’expérience de mise en place de dispositifs juridiques qui protègent les formes de gestion en biens communs existe. Les lois constitutionnelles en Equateur, des lois-cadres sur l’ESS en Espagne ou les "agendas 21". Si les Etats les ont adoptées, c’est aussi parce que des mouvements sociaux se sont mobilisés à coté de l’ESS.

Aujourd’hui les mouvements sociaux sont largement mobilisés par le paradigme des biens communs : ainsi le mouvement des logiciels libres, mais aussi le mouvement pour une finance alternative n écho aux présents autour de cette table et d’autres.

Le renouvellement de la vision de l’économie est un des moteurs du mouvement de reconquête des biens communs, dont le manifeste pour la récupération des biens communs du Forum Social Mondial 2009 n’a été qu’une des pointes de l’iceberg.

Aussi, la convergence de l’ESS avec les mouvements sociaux et les commoners devrait-elle porter dans un premier temps sur la définition commune des stratégies pour renforcer les droits de gestion sous forme de biens communs au sein du processus de gouvernance.

- Troisième condition : tout cela ne se fera pas sans un mouvement plus systématique d’appropriation par la société toute entière de cette idée que la diversité des formes de gestion en bien communs est elle-même un patrimoine commun.
Il s’agit de permettre à tous de faire le lien entre son comportement, et l’économie pour comprendre que ce qui fait le sens de l’économie sociale, c’est qu’il s’agit d’une démarche de biens communs.
Pour cela, nous devons offrir à chacun l’opportunité de documenter ses pratiques économiques, sociales et politiques et de les relier aux théories.

Pourquoi ? Au fond, démocratiser l’économie, c’est aussi gagner l’opinion publique et par là, peser sur les politiques publiques à travers la démocratie.

A VECAM, c’est ce que nous cherchons à faire avec « Remix Biens Communs »remixthecommons.org, une plateforme vidéo sur internet pour documenter son expérience des biens communs.

L’ESS doit, sinon s’investir dans des projets d’éducation autour de la chose économique, au moins s’associer avec les mouvements d’éducation populaire pour cela.

Frédéric Sultan : membre de VECAM, une association française qui explore les transformations sociales offertes par l’émergence de la société de l’information. VECAM publie des livres tels que Libres Savoirs, les biens communs de la connaissance, participe et organise des rencontres et réalise des projets de solidarité internationale.
Associé et co-fondateur de la coopérative GAZIBO, qui facilite le développement de pratiques collaboratives et l’usage des TIC dans le monde associatif et l’ESS.

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