Rencontres Sociales

ESS/RSE

La gauche imaginative

26 mai 2011 - Michel Denon

La gauche peut-elle renouer avec l’imagination de 2001 dans l’encadrement dynamique de la « responsabilité sociale des entreprises » ?

Mots clés

En 2001, la France a fait connaître sa différence en matière de gouvernance économique, sociale et environnementale en étant le premier pays à légiférer pour encadrer les initiatives des entreprises en matière de « responsabilité sociale des entreprises ». Cette entrée hétérodoxe du réglementaire dans un domaine jusque là considéré comme relevant de la seule libre bonne volonté des entreprises s’est faite dans deux domaines : la transparence, considérée comme due à l’ensemble de la société à travers un rapport annuel présentant les comportements sociaux et environnementaux porteurs de risques ou, au contraire, exemplaires (loi du 15 mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Economiques) ; l’encouragement à une gestion de l’épargne salariale (loi du 19 février 2001 sur les Plans d’épargne salariale) et des retraites (loi du 17 juillet 2001 sur le Fonds de réserve des retraites) soucieuse de l’environnement, des droits sociaux et plus généralement des impacts sur la société.

La loi qui organisait le « reporting social et environnemental » pour les entreprises cotées en bourse, fortement décriée à ses débuts et présentée comme caractéristiques d’un dirigisme étatique dépassé, a été imitée par la Grande Bretagne en 2006 et le Danemark en 2008, (la loi ce dernier pays visant toutes les entreprises de plus de 250 salariés) et par les réglementations boursières d’un grand nombre de pays, y compris d’Asie (Chine, Indonésie, Malaisie), d’Amérique Latine (Brésil) et d’Afrique (Afrique du Sud). Les lois et règlements sur l’investissement « socialement responsable » de l’épargne et des retraites des salariés ont fait école, avec des variantes, de la Norvège à Singapour en passant par les Etats-Unis.

En France, alors que la présidence Sarkozy s’employait à défaire tout ce que la Gauche avait construit, le Grenelle de l’environnement l’a contrainte à étendre au contraire les dispositions phares du « dirigisme » de gauche : le reporting social et environnemental a été rendu obligatoire à toutes les entreprises de plus de 500 salariés (en trois étapes d’ici… 2012) par l’article 225 de la loi Grenelle II de juillet 2010 et son décret d’application), tandis que l’Etablissement public de retraite additionnelle de la fonction publique créé en 2003 recevait pour ligne de conduite en 2006 de gérer l’ensemble de ses fonds selon une « charte d’investissement socialement responsable ». C’est qu’entre temps, l’idée que la RSE était une des façons intelligentes de mettre en œuvre la conversion de notre système économique prédateur en dynamique de développement durable avait fini par s’imposer, et avec elle celle qu’un régulateur était indispensable, l’Etat, représentant de l’intérêt général, y compris des générations futures.

Ce triomphe posthume de la pensée de Gauche dans la gouvernance économique, sociale et environnementale ne s’est pas fait sans hésitations, tentatives de revirements et contournements (le fonds de réserve des retraites et le fonds d’investissements stratégiques, qui gèrent des masses financières considérables n’ont pas reçu les mêmes obligations de gestion ESG que le fonds de la fonction publique). Il demeure de ce fait parcellaire, inachevé et méconnu, ignorant de surcroît de ses propres succès alors que l’encadrement réglementaire de la responsabilité sociale des entreprises n’a jamais connu un tel intérêt au plan international : des pays de plus en plus nombreux s’y engagent, y compris les plus « libéraux » (lois Sarbane-Oxley et Dodd-Franck aux USA, plan national de RSE en Allemagne) et les moins portés au respect des droits sociaux et environnementaux (Inde, Chine, Indonésie, etc.) Un nombre croissant d’organisations internationales s’en emparent parallèlement dans leurs efforts pour reconstruire leur légitimité : Nations Unies (Global Compact et PRI), OCDE (Principes pour les multinationales révisés cette année), PNUE (Global Reporting Initiative), Banque Mondiale (Performance Standards, Principes d’Equateur), Organisation Internationale de Normalisation (ISO 26000), etc.

L’intérêt de la Droite française pour la RSE demeure très limité, relevant plutôt du suivisme. Aucune référence au pilotage de la RSE en tant qu’outil d’amélioration de la gouvernance mondiale ne figure dans les objectifs de la présidence française des G 8 et G 20 alors que la présidence allemande du G 8 en avait fait un élément clé en 2007, débouchant sur le « processus d’Heiligendam » qui a recommandé le lancement du chantier de la convergence des normes internationales de RSE (mis en œuvre depuis).

Ceci est significatif du caractère original de la pensée qui est à l’origine de la pensée sur l’encadrement normatif de la RSE : celle-ci ne puise ni dans le catalogue du prêt à penser libéral du consensus de Washington, ni dans l’outillage des recettes keynésiennes ; elle ne s’inscrit ni dans une conception privatiste de la construction des normes juridiques qui laisse faire les acteurs privés, ni dans la vision régalienne pour qui le droit administré par la loi est le seul à produire de l’effectivité ; elle ne voit dans l’entreprise ni le diable ni le salut, se refusant au manichéisme. Elle est pragmatique, croit aux dynamiques transformatrices, aux consensus, à l’expérimentation à travers le « droit mou » qui permet ensuite au « droit dur » d’être plus efficace car plus pertinent ; elle voit en l’Etat un pédagogue qui peut faire d’autres usages de la loi que la création de contraintes et de charges.

Revenant au pouvoir en 2012, la Gauche, si elle parvient à s’affranchir du complexe qui si souvent la handicape, - la peur d’être jugée incompétente dans le pilotage de économie, pourrait se souvenir du fait qu’elle a été imaginative, compétente et visionnaire en 2001 en inventant l’encadrement des dynamiques de responsabilité sociale et environnementale dont sont porteurs les acteurs économiques.

Plusieurs grands « chantiers RSE » pourraient être lancés rapidement s’inscrivant dans un esprit de dialogue social associant l’ensemble des forces sociales :
- utiliser le levier des marchés publics (18 % du PIB) pour engager les entreprises dans la définition de politiques de RSE réelles et transparentes (alors que le gouvernement français n’affiche qu’un objectif modeste de 10 % des marchés publics conformes à des règles ESG en 2012, d’autres situent l’objectif à 100 %)
- examiner à cette occasion la place que pourrait occuper le secteur de l’économie sociale – selon des critères à préciser – dans la création d’une dynamique de responsabilité sociale et environnementale s’appuyant sur les marchés publics
- généraliser les critères ESG à l’ensemble des fonds financiers publics placés en valeurs mobilières ou investis dans l’économie afin d’engager l’ensemble de la place française dans cette approche aux effets de levier considérables sur l’industrie et les services
- soumettre l’ensemble des administrations publiques et leurs établissements à une obligation de reporting social et environnemental assortie d’engagements de progrès précisés à travers des indicateurs de performance, notamment en ce qui concerne la relation aux usagers, avec comme objectif corrolaire de rénover la réflexion sur le rôle des services publics dans la société
- engager une réflexion sur les liens entre indicateurs macro-économiques de performance sociale et environnementale et indicateurs micro-économiques, sociaux et environnementaux en sorte de favoriser un pilotage fin de la stratégie nationale de développement durable
- proposer aux principales organisations patronales un dispositif indépendant d’évaluation de la qualité des rapports sociaux et environnementaux qu’elles élaborent chaque année dans le cadre de la loi Grenelle II, à l’instar du « Benchmark index » néerlandais auquel près de 500 entreprises ont participé en 2010
- réformer le système des droits de présentation de motions dans les assemblées générales d’entreprises afin de permettre aux minorités de mieux se faire entendre, en particulier sur la rémunération des dirigeants et les choix stratégiques non financiers
- lancer des « états généraux des parties prenantes des entreprises » afin d’élaborer des modèles de systèmes de dialogue entre elles et les directions d’entreprises qui assurent la meilleure prise en compte de leurs points de vue dans la définition des stratégies entreprises ; il pourrait en résulter des dispositions législatives corrigeant l’absurdité du retrait a posteriori de la loi Grenelle II d’une disposition invitant les parties prenantes à donner un avis sur les rapports ESG annuels
- introduire en droit français le système des class-actions pour faciliter l’accès des victimes à des réparations
- modifier le code pénal pour supprimer le filtre de l’accord du procureur pour la recevabilité des plaintes de victimes pour les agissements des entreprises hors du territoire national
- transformer le « point de contact national » français chargé de la vérification du respect par les entreprises françaises des Principes directeurs de l’OCDE pour les multinationales en une autorité administrative indépendante à même de se prononcer de façon impartiale lorsque des plaintes lui sont soumises (à l’instar du PCN néerlandais et conformément aux recommandations du Représentant spécial du SGNU pour les entreprises et les droits de l’Homme)
- engager le dialogue avec les organisations représentatives des PME pour identifier les dispositions réglementaires, fiscales, en conseils, etc. susceptibles d’entraîner un engagement plus important de leurs membres dans la RSE, à l’instar de ce que font celles membres du Centre des Jeunes Dirigeants
- donner mission à l’Agence Française de Développement de soutenir les initiatives des entreprises s’inscrivant dans l’approche « entreprenariat social » , c’est-à-dire visant à satisfaire les besoins fondamentaux et les droits économiques, sociaux et culturels des plus démunis dans une relation participative avec eux, ainsi que d’organiser des retours d’expérience permettant une réflexion sur leur généralisation possible
- créer un « observatoire du développement de la RSE en France » construit sur une base collaborative entre chercheurs universitaires et d’écoles de commerce, organisations patronales engagées (ORSE, Pacte Mondial, CJD, C3D, OSI), syndicats, ONG et Etat, qui suivrait la mise en œuvre de tous les chantiers précités et proposerait les accompagnements nécessaires et inflexions utiles
- proposer l’ensemble de ces chantiers à la Commission européenne comme sujets potentiels d’harmonisations ou d’expérimentations collectives, suivant en particulier la recommandation d’Harlem Désir d’introduire des dispositions encourageant le développement des pratiques de RSE par les entreprises des pays et régions du monde avec lesquels l’Union Européenne négocie des accords commerciaux, d’investissement et/ou de coopération
- ratifier les conventions internationales de protection des droits économiques et sociaux qui ne l’ont pas encore été par la France, au premier rang desquelles le protocole additionnel au Pacte des DESC de 1966 adopté par l’AGNU le 10 décembre 2008 (la France ayant joué un rôle clé dans sa négociation), ces traités apparaissant de plus en plus comme le socle à partir duquel peut se développer une universalisation des pratiques de RSE : les normes les plus récemment adoptées à ISO, à l’OCDE, aux Nations Unies et à la Banque Mondiale font ainsi toutes – c’est une première pour ce type de normes – font référence aux 8 conventions de base de l’OIT et à la Charte des droits de l’Homme.

Le concept de « responsabilité sociale des entreprises » signifie aujourd’hui, largement grâce aux initiatives françaises de 2001, bien autre chose que l’idée que les entrepreneurs seraient « moraux » et capables de s’autoréguler pour collaborer à l’évolution durable de la planète. Il est compris de plus en plus comme un espace de régulation décisif qui s’invente dans une complexité d’espaces institutionnels (publics/privés/mixtes, locaux/nationaux/internationaux/mixtes, institutionnels/contractuels/marchés, etc.) A condition de sortir des idées toutes faites.

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