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"Penser à droite"

20 septembre 2012

Emmanuel Terray vient de publier aux Editions Galilée un nouveau texte d’analyse du politique. Nous reprenons ici la présentation qu’en fait Elise Massiah.

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Emmanuel Terray, avec son dernier livre Penser à droite ne nous décrit pas les batailles de chapelles de la droite historique, ni ne tombe dans une explication freudienne de ce que serait une psyché de droite, il poursuit son beau souci d’anthropologue de l’humanité, des humanités.

Le terrain, c’est une certaine France, depuis le XVIII ème siècle jusqu’à nos jours. Une France qui a fondé ce que nous appelons, peut-être surtout à gauche, une « pensée de droite ». C’est un débat qui possède son regain d’actualité avec les chantres de la « pensée du centre ». Il y a peu de temps, Les éditions « lignes » publiaient de nouveau ce texte de Mascolo Sur le sens et l’usage du mot « gauche ». Probablement, ce clivage dépasse les conflits bourgeois où il est né, et au-delà des communautés politiques qu’il définit aujourd’hui, il image et construit des modes d’être et des façons de vivre ensemble. Mais s’intéresser à la pensée de droite, ce n’est pas simplement repérer les modes du camp adverse, c’est aussi identifier, chercher ce qui transparait en soi de cette idéologie à la fois méandreuse et terriblement cohérente. De la même manière que Mascolo disait qu’il y a de la gauche partout (il y avait de la gauche chez les nazis), Terray dit que la droite dépasse l’idée d’une classe ou d’un camp ennemi. Quelle est cette langue (hégémonique) par laquelle nous sommes parlés ?

A partir de là, Terray inventorie les grands mythes du lexique de droite. Ces mythes s’appellent : Réalisme, Ordre, Inégalité et Hiérarchie, Autorité, Nature et Histoire…
Parfois, ces mythes recouvrent des mythes plus ancestraux. L’attrait de la droite pour le réalisme, par exemple, prend racines dans la pensée judéo-chrétienne. Notre civilisation a pris l’habitude de dire « Ainsi soit-il » à ce qui est donné comme naturel. Elle évince alors les imaginations et les alternatives comme des violences faites à la loi du réel.

Mais ces mythes sont aussi des constructions de l’esprit qui ont organisé les sexes et les peuples, les individus et les communautés. L’évidence apparente selon laquelle nous ne sommes pas tous égaux, cette idée de l’inégalité comme un fait essentiel de nos civilisations, a conduit à hiérarchiser la diversité. Pour la pensée de droite, qu’un homme soit différent d’une femme, équivaut selon une logique nécessaire, au fait que l’homme lui soit supérieur. La pensée de l’inégalité (et non de la différence) justifie alors la pensée de la hiérarchie. Repérer et décortiquer ces glissements de sens constituent l’essentiel du travail de Terray.

Aussi Terray continue-t-il de mettre de l’espace entre des notions parfois utilisées sans discernement. Dans les dangers qui pointent, il nous faut éclaircir, et sans doute distinguer, la droite de l’extrême droite et la droite du fascisme. De la droite à l’extrême droite, nous propose l’auteur, il n’est pas de différence de nature, seulement de degré : l’ordre devient une répression grossière, la marginalisation de l’étranger de la xénophobie… Il en est autrement du fascisme qui œuvre sur un continent politique qui lui est propre. Le fascisme peut faire son lit dans tous les courants. Mobilisant les masses pour la volonté d’un seul, son souci n’est pas de conserver les frontières politiques et sociales.

La question sourde de l’ouvrage est accueillie dans la conclusion. Qu’en est-il de cette nouvelle droite qui prône le libéralisme économique ? N’y a-t-il pas de contradiction ouverte entre les valeurs du libéralisme économique (innovation, cosmopolitisme, consommation, compétition) et celles du conservatisme social (continuité, patrie, modération, consensus) ? Si, sans doute, et il n’est pas impossible que cette tension divise ou divisera profondément la droite, mais, plus certainement, la droite continuera de se retrouver dans la défense de l’ordre établi.
Préférer l’ordre au chaos, la nature à l’histoire, le familier à l’étranger, c’est vouloir définir, cadrer l’humanité pour l’empêcher de s’inventer. La peur de la liberté ramène son lot de discours rassurants. Et ce n’est pas seulement l’affaire des gens de droite, nous connaissons tous, chaque jour, cette peur de l’inconnu que nous nommons violence et qui sont parfois les voies de l’émancipation.

Elise Massiah (août 2012)

www.editions-galilee.fr

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