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Introduction De manière plus ou moins prononcée selon les pays, les syndicats peinent à défendre et à représenter des travailleurs (femmes, immigrés, chômeurs, précaires, pauvres, etc.) qui ne font pas partie de leur membership traditionnel. Ces catégories se retrouvent ainsi plus souvent sur les emplois atypiques et leurs aspirations se traduisent rarement en termes de revendications. Face à cette situation, peu de syndicats ont cherché à élargir ou rehausser leur représentativité en développant des stratégies qui répondent aussi aux besoins et aspirations de ces catégories de travailleurs. Plus troublant, quand des syndicats le mettent à leur agenda, ils n’arrivent pas toujours dans les faits à organiser ces travailleurs et peuvent même adopter des politiques qui vont à l’encontre de leur mobilisation collective. C’est notamment le cas au Brésil, comme le montre l’examen des pratiques de deux syndicats de métallurgistes de la CUT (Centrale unique des travailleurs) en direction des travailleurs dits informels.
Historiquement, les syndicats brésiliens représentent les travailleurs dits formels 2. Mais en 1999, la CUT, qui est la principale centrale syndicale au Brésil, a adopté une politique pour représenter les travailleurs informels via l’économie solidaire. L’économie solidaire est en effet devenue le lieu de mobilisation et d’organisation de ces travailleurs informels ou pauvres (voir encadré 2). La CUT est la seule centrale syndicale à avoir fait ce pas en direction de ces travailleurs exclus des droits et de la syndicalisation. Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Ainsi, l’un des syndicats étudiés (le SMABC), qui se situe dans la région ABC, en bordure de São Paulo, et qui est d’ailleurs l’un des principaux initiateurs de la politique de la CUT, n’a réussi à mobiliser et organiser que des travailleurs issus de son membership traditionnel, tout en alimentant les contradictions entre les intérêts immédiats des travailleurs formels et informels. Ses pratiques sont pourtant innovantes à bien des égards : pour lutter contre le chômage, le SMABC a soutenu la transformation des entreprises en faillite en coopératives autogérées par leurs travailleurs ; il a aussi appuyé la création de coopératives dans des niches d’activité, comme le tri et le recyclage, qui ont été initiés par les pauvres parmi les pauvres, les ramasseurs de déchets dans les rues (aussi appelés Catadores) 3. Le SMABC est en outre à l’initiative de la création, en 1999, d’une structure autonome de représentation des coopératives (baptisée Unisol São Paulo à sa création).
Cependant, lorsqu’on examine qui participe à ces coopératives soutenues par le SMABC dans la région ABC, on constate qu’elles ne rassemblent pratiquement que d’anciens travailleurs formels, y compris lorsqu’il s’agit de coopératives de récupération et recyclage de déchets, comme c’est le cas de L., coopérative qui est présidée par un syndicaliste et dont les membres sont à 90 % d’anciens métallos qui ont perdu leur emploi. Ceci peut paraître logique eu égard aux segmentations des initiatives dans l’économie solidaire qui reproduisent en partie les segmentations sur le marché du travail (cf. encadré 2). Cependant, loin de les atténuer, la politique du SMABC contribue à les accroître. Ainsi, pour lutter contre les fausses coopératives, c’est-à-dire les coopératives suscitées par des entreprises pour externaliser à moindre coût leurs activités 4, le SMABC défend comme critères de reconnaissance des vraies coopératives le fait qu’elles assurent les mêmes droits collectifs de base, notamment en termes de rémunération, que ceux dont bénéfi cient les travailleurs formels. Or, une petite coopérative n’a pasnécessairement le niveau d’activité permettant d’assurer ces niveaux de revenus tout au long de l’année (quand bien même elle vendrait sa production aux prix du marché). Ces indicateurs assimilent ainsi à de fausses coopératives des initiatives qui peuvent être très innovantes en termes d’autogestion et satisfaire des besoins sociaux, mais qui ne répondent pas aux critères de compétitivité du marché. Au nom d’une défense des droits acquis, le SMABC s’oppose ainsi au développement de coopératives qui mobilisent les travailleurs informels.
L’autre syndicat (SMGPA), qui se situe dans la métropole de Porto Alegre (ou Grand Porto Alegre), est parvenu à développer des projets collectifs avec les travailleurs informels mobilisés dans l’économie solidaire. Mais il l’a fait en s’écartant de la vision traditionnelle de la représentation des travailleurs. Le SMGPA ne se restreint pas à la défense des intérêts institutionnalisés (en terme de salaires minimaux, de durée du travail, etc.) mais prend en compte les besoins et aspirations qui s’expriment dans l’économie solidaire, considérant qu’elle trace des pistes pour repenser les relations de travail et l’organisation de la société. Ses critères d’appréciation des initiatives donnent la priorité, non à leur compétitivité, mais au fait qu’elles adoptent des pratiques démocratiques et qu’elles contribuent au développement personnel et à un rapport non prédateur avec le milieu ambiant. Le SMGPA met ainsi l’accent sur les pratiques réelles d’autogestion, sachant que des coopératives peuvent formellement tenir des assemblées générales mais maintenir des relations hiérarchiques et inégalitaires de travail 5. En résumé, on peut dire que le SMGPA a adopté une autre vision de la transformation sociale et a élargi du même coup sa conception du « Nous les travailleurs », y intégrant tous ceux qui contribuent par leur mobilisation collective à dessiner un autre monde souhaitable. Ce qui l’a amené à repositionner le rôle du syndicat en promouvant des revendications (consommer équitable, de façon durable et produire solidairement, en respectant les égalités de genre, etc.) susceptiblesde recréer des solidarités entre travailleurs formels et informels.
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